Sénatha, le Premier Druide (XXX-XXX♰)

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Cry Havoc Nr.6 Page 72-74.
Après la bataille des Rives rouges, Sénatha s’était éloigné du camp. Il avait passé des heures à soigner les blessés et son corps tout entier était poissé de sang. Mais son coeur saignait plus encore que toutes les plaies qu’il avait dû refermer, car il n’était pas parvenu à sauver la moitié des guerriers qu’on lui avait amenés. Tant de jeunes hommes forts et vigoureux avaient rejoint le monde des morts au cours de cette bataille… Et pourquoi ? Pour les dieux ? Pour la liberté ? À genoux, près de la rivière où il venait de se laver, Sénatha pleura ses frères morts au combat et il pleura pour son peuple que le malheur ne se lassait de poursuivre. Puis, il fut pris d’un accès de colère soudain et cria à la face des dieux, les maudissant pour tout ce qu’ils faisaient subir aux siens. Lorsqu’enfin il fut à bout de souffle, une voix calme et sereine lui parvint. « Exigeant mortel. Intransigeant mortel… Pourquoi n’accordes-tu pas aux dieux le droit de commettre des erreurs ? » Sénatha se retourna vivement et vit l’homme qui se tenait à quelques mètres de lui. Ce n’était pas un Ogmanan, mais il n’appartenait pas non plus au peuple de Kel, cela ne faisait aucun doute. Sénatha était cependant trop épuisé pour se montrer curieux et les paroles de l’homme lui étaient par trop douloureuses pour qu’il remette sa réponse à plus tard. « Parce que les conséquences de leurs erreurs ravagent nos terres et fauchent nos frères par centaines. Parce qu’ils sont si fiers et obtus qu’ils refusent d’admettre qu’ils se sont trompés et nous poursuivent où que nous fuyions! lâcha-t-il d’un ton qui ne cachait pas son amertume. —Mais il arrive parfois que les mortels soient si aveugles qu’ils passent à côté de la main que leur tendent les dieux, répondit l’homme sur le même ton posé. — Que veux-tu dire ? Et qui es-tu, toi qui parles comme si tu étais un messager des dieux ? — Je suis l’un de ceux que tu détestes tant et je suis venu te prouver que l’aide des dieux est à la hauteur des maux dont ils sont la cause. » À ces mots, Sénatha eut un mouvement de recul, s’atten dant à quelque traîtrise. Pourtant, quelque chose en lui le poussait à accorder sa confiance à l’inconnu. « Pourquoi ferais-tu cela ? demanda-t-il. — Parce que je sais certaines choses que même la Déesse ignore encore. Parce que je sais que ton peuple est appelé à réaliser de grands desseins sur cette terre. Il doit auparavant endurer mille maux et mille tourments. Il en va ainsi et je n’y puis rien. Toutefois, il est en mon pouvoir de donner aux tiens les moyens d’accom plir leur destinée. Et tu seras celui par qui l’espoir renaît. — Pourquoi moi ? demanda Sénatha. — Pourquoi pas toi ? répondit simplement l’inconnu. Ferme les yeux et ouvre-moi ton esprit. Je te guiderai et te révélerai une partie du secret des dieux. » Sans savoir réellement pourquoi il obéissait, Sénatha ferma les yeux et s’efforça de faire le vide dans son esprit. Il perçut tout d’abord la présence diffuse mais rassurante de l’inconnu, puis soudain, il se sentit basculer, comme s’il était précipité dans le vide. Par réflexe, il tenta d’ouvrir les yeux, mais son corps ne lui obéissait plus. En fait, à bien y penser, l’évidence lui vint à l’esprit : il n’avait plus de corps. Et cette sensation de chute n’était due qu’à la séparation de la chair et de l’âme. Ce qu’il advint par la suite est infiniment difficile à relater, car les mots qu’utilisent les mortels ne peuvent décrire que ce que leurs sens leur permettent d’appréhender. Sénatha ne ressentit rien, pas plus qu’il ne vit quoi que ce soit. Mais il voyagea au coeur de la connaissance. L’inconnu le guida sur la toile complexe des arcanes de la Création et, peu à peu, Sénatha comprit la nature profonde de toute chose, vivante ou inanimée. Son esprit déchiffra de plus en plus clairement le subtil agencement des éléments qui constituaient le monde et il en vint même à saisir le moyen de maîtriser cette puissance pour la tourner à son profit. À cet instant précis, il se sentit comme tiré vers le bas et il sut que son voyage touchait à sa fin. Il allait réintégrer son corps, il le savait. Pourtant, il sentait confusément qu’il lui restait encore mille secrets à découvrir, que seule une infime partie de la vérité venait de lui être révélée. Il aurait voulu lutter, étancher encore sa soif de connaissance à cette source intarissable, mais inexorablement, il se sentait revenir au monde. Lorsqu’il ouvrit enfin les yeux, il était déchiré entre émerveillement et frustration. L’inconnu se tenait toujours face à lui, l’observant de son regard bienveillant. Sénatha voulut parler, mais avant qu’il ouvre la bouche, l’homme lui tendit un sac de cuir en disant simplement ceci : « Tu sais, désormais. Il te revient maintenant d’user de ce savoir et de l’enseigner. » Sans un mot, Sénatha prit le sac et l’ouvrit. Il contenait quatre pierres, chacune de la taille d’un galet. La première était chaude et rougeoyait comme la braise. La seconde était lisse et translucide, pareille à une goutte d’eau solidifiée. Sénatha fut stupéfait en prenant la troisième, car elle était plus légère que le duvet le plus fin. La dernière, enfin, ressemblait à un vulgaire caillou brun. Et, à travers chacune de ces gemmes, Sénatha ressentit la puissance des éléments telle qu’il l’avait perçue lors de son périple spirituel. Lorsqu’il s’arracha à sa contemplation, Sénatha sentit mille questions se bousculer dans sa tête. Mais l’inconnu n’était plus là pour y répondre.

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