Kerlhann l’Errant

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Arc



1 Figurine par Carte

Concept : Edouard Guiton

Sculpture : ToDo

Profil : Confédé

Socle : Infanterie 3 Cm

Taille Unité : Moyenne

Classe :

Rang : Champion 2 Spécial

Affiliation :

Date de Sortie :

Équipement(s) :

Arc

Compétence(s) :

Bravoure, Coup de Maître/ 2, Esquive, Feinte, Tir Instinctif
(Artefact/ 2, Enchainement/ 1, Contre-Attaque/ 2, Rechargement Rapide/ 1, Visée)

Compétence(s) Spéciale(s) :

Artefact(s) :

Corne Brisée

Background :

KERLHANN L’ERRANT (Nouvelle officielle Rackham).
Première Partie

Penché sur le flanc de sa monture, cramponné à la crinière, Kerlhann De Sandris chevauchait à bride abattue. Sa mâchoire était serrée, son regard fixé sur le grand cerf qui fuyait devant lui. 

“Ne pas le perdre des yeux, surtout ne pas le perdre !” se répétait-il inlassablement. Il avait repéré l’animal une heure plus tôt : un superbe dix-cors qui paissait tranquillement au milieu d’une clairière. Il s’en était approché avec un luxe de précautions avant que l’animal ne le repère et qu’il ne lance la chasse. Il avait juste eu le temps de lui tirer une flèche dans le flanc.

Il chassait seul. Il n’aimait pas la compétition des hommes lancés à la poursuite d’un même animal, les hurlements de la meute, le son des cors qui se répondent, toute cette ambiance bruyante et tendue. Il allait jusqu’à refuser la présence d’un chien. Pour Kerlhann, la chasse était un duel entre lui et sa proie, une lutte dangereuse où il fallait faire preuve de rapidité, d’endurance et de ruse pour espérer vaincre. Il fallait aussi faire preuve de vigilance et c’est pourquoi il gardait les yeux rivés sur le cerf. Il avait à peine besoin de guider sa monture à travers les fossés et obstacles de la forêt tellement la connivence qui le liait à Bourrasque était forte. Il avait quasiment appris à monter à cheval sur cette jument et leur complicité avait grandi avec le temps. Elle était âgée de plus de douze ans maintenant, mais elle gardait un pied sûr et était toujours aussi vigoureuse. Kerlhann n’avait qu’à suivre ses mouvements, réagir en harmonie avec le corps de sa monture et se concentrer sur sa proie.

Le cerf commençait à peiner. Son rythme avait légèrement baissé et Bourrasque le suivait maintenant sans se presser. Dans quelques minutes il serait trop fatigué pour continuer la course et ferait face. C’est cet instant que Kerlhann attendait avec impatience, la confrontation avec l’animal.

Et ce moment ne tarda pas : le cerf, épuisé, s’arrêta et se tourna vers son poursuivant. Son allure était fière, il levait haut ses bois vers le ciel et semblait lui lancer un défi. Kerlhann arrêta son cheval, mit pied à terre et fit quelque pas vers le cerf qui semblait l’attendre. L’homme et l’animal se firent face pendant quelques secondes. Puis le grand mâle poussa un brame désespéré et se jeta sur Kerlhann, bois en avant. Dans le même temps le jeune chasseur sortit de son fourreau un grand coutelas de chasse et attendit la charge. 

C’était le moment qu’il préférait, ces quelques secondes où tout se jouait, quand peur et excitation se mêlaient avant le choc. Le heurt fut brutal : Kerlhann avait attendu le dernier moment pour frapper et se jeter sur le côté. Sa lame était entrée violemment dans le poitrail de l’animal mais le jeune homme avait esquivé trop tard, et le cerf l’avait percuté à l’épaule, le repoussant dans les fougères. Il se releva vivement pour faire face au cas où la bête le chargerait à nouveau.

Le dix-cors était déjà en train de mourir, renâclait, frappait le sol de ses sabots de façon désordonnée. La tache écarlate sur son poitrail s’agrandissait à vue d’œil et souillait son pelage. Bientôt le cerf s’écroula à terre. Ses pattes s’agitèrent encore quelques instants convulsivement puis il s’éteint. Kerlhann s’approcha alors ; il récupéra son coutelas, resté dans le poitrail de la bête, et le remit dans son fourreau. Son épaule le faisait souffrir mais il ne pensait pas qu’elle fut cassée. Il alla ensuite chercher dans ses fontes de quoi attacher le cerf et le ramener jusqu’à la cabane qui lui servait de pavillon de chasse. Après il serait enfin temps de rentrer au château.

Cela faisait plus d’une semaine maintenant qu’il s’était absenté pour chasser et il ne serait pas mauvais qu’il rappelle à tous son existence. Même si l’ambiance devenait exécrable depuis que son père était tombé malade et que son frère aîné, Alandre, se prenait pour le maître de Sandris, il se devait de leur rendre une petite visite de temps en temps. De toute manière il y avait beaucoup trop de viande pour lui tout seul.

Lorsque Kerlhann passa sous la herse et pénétra dans la cour, il se rendit compte qu’il y avait quelque chose d’anormal. Les gens le regardaient en murmurant, lui adressaient des sourires compatissants. Le jeune homme sauta à bas de Bourrasque et demanda ce qui se passait à l’un des gardes. Ce dernier avait l’air effondré et eut bien du mal à lui répondre :
– “ Votre père, seigneur. Il … Il est mort ! ”
Kerlhann n’arrivait pas à accepter ce que le soldat venait de lui dire. Il monta comme un fou les marches du donjon qui menaient à la chambre de son père et ouvrit la porte à la volée. Une dizaine de personnes étaient réunies autour du grand lit dans lequel reposait son père. Parmi elles son frère Alandre qui le regardait d’un air sardonique.
– “ Notre père s’est éteint la nuit dernière. Évidemment tu n’étais pas là, trop occupé à courir les bois. Père t’a réclamé sur son lit de mort, j’ai eu toutes les peines du monde à lui expliquer pourquoi tu ne venais pas. Je crois qu’il a beaucoup souffert de ton absence… ”
– “ Tais-toi ! ”
Kerlhann avait l’air prêt à se jeter sur son frère. On pouvait lire la rage dans ses yeux et il gardait les poings serrés.
– “ Ne me donnes pas d’ordre, petit frère. Il est un peu tard pour les remords. ”
– “ Mais père était loin d’être mourant quand je suis parti ! ”
– “ Sa maladie a évolué de façon foudroyante. Impossible de te prévenir là où tu étais, terré au fond des bois. Il vient de recevoir les derniers sacrements. On l’enterrera demain et à la suite je recevrai officiellement le titre de Chevalier. Maintenant si tu veux bien m’excuser, j’ai encore beaucoup de choses à régler. Je voudrais te voir tout à l’heure dans la Grand Salle. ”
Alandre quitta alors la chambre mortuaire, entouré de ses suivants. Kerlhann resta seul avec Neven, sa sœur cadette. Elle se précipita dans ses bras en pleurant.
– “ Ne l’écoutes pas Kerlhann. Père était triste bien sûr, mais il t’aimait tellement. Il avait la même passion que toi pour la chasse et l’équitation, il était vraiment fier de toi. Alandre en était jaloux, c’est pourquoi il s’est montré si dur avec toi. ”
– “ Je sais, Neven. Mais je m’en veux de ne pas avoir été présent. ”
– “ Ne pense plus à ça, préoccupes toi plutôt de l’avenir. J’ai peur des réactions d’Alandre maintenant qu’il est le seigneur. ”
Kerlhann prit sa sœur dans ses bras et tenta de la rassurer.
– “ Ne t’inquiètes pas. Tout va bien se passer. ”


Il rejoignit son frère quelque heures plus tard. Alandre l’attendait en contemplant les blasons de la Maison De Sandris disposés au dessus de la gigantesque cheminée. Sans même se tourner vers lui il annonça :
– “ Je veux que tu quittes le domaine demain soir après la cérémonie d’inhumation. Emmènes Bourrasque avec toi si tu veux, je n’ai que faire de cette vieille carne. ”
Kerlhann était atterré. Son père venait à peine de mourir et déjà son frère le chassait de chez lui ! D’un geste brusque il força Alandre à le regarder.
– “ Pourquoi ? ”
– “ Tu ne crois quand même pas que je vais t’entretenir ! Maintenant que je suis le seigneur de Sandris, j’entends bien être tranquille chez moi. J’ai déjà trouvé un époux pour Neven, le fils d’un Chevalier de Laverne. Quant à toi tu n’as qu’à rallier Kallienne pour entrer dans l’armée du Roi Gorgyn. Ma décision n’est pas à discuter, je suis l’aîné et vous devez m’obéir. ”
Comme à son habitude, Alandre quitta la pièce pour couper court à la conversation, laissant derrière lui un Kerlhann effondré.



Bourrasque trottait lentement vers le sud. Kerlhann voulait rejoindre avant la nuit l’auberge de l’Airelle. Après c’était l’inconnu. Rejoindre Kallienne, descendre plus au sud vers Allmoon ? Le jeune homme n’avait encore rien décidé. Nul doute qu’un homme comme lui sachant se battre trouverait à s’occuper, mais Kerlhann n’avait pas le cœur à faire des projets. L’enterrement avait été sinistre. Il n’avait cessé de pleuvoir, une pluie fine et froide, qui s’insinuait sous les vêtements et pénétrait les corps comme les âmes. Puis le jeune noble avait dû se préparer à quitter le domaine. Il n’avait eu que peu de temps pour réunir ses affaires et faire ses adieux à sa sœur et aux serviteurs. Sandris était loin derrière lui maintenant. Il avait pourtant rêvé de cette vie d’errance et d’aventures, mais les choses se déroulaient différemment de ce qu’il avait imaginé. Jamais il n’aurait pensé se retrouver chassé de chez lui, par son propre frère. C’est avec ses pensées moroses qu’il atteignit l’auberge de l’Airelle. En pénétrant dans la salle commune, il fut saisi par la chaleur qui y régnait. Une bonne trentaine de personnes s’entassaient autour d’un large foyer. L’aubergiste et ses filles passaient entre les tables pour remplir verres et assiettes. Les visages étaient joyeux, les sourires accueillants.
Kerlhann, qui n’avait vraiment pas la tête à la fête, s’assit dans un coin isolé et commanda son repas. Alors qu’il mangeait la tête baissée vers son assiette, un homme vint s’assoir à sa table en lui souhaitant le bonsoir. Kerlhann leva la tête : c’était un Barde portant la robe traditionnelle de sa caste. Il avait le regard fier et intelligent. Kerlhann se souvint l’avoir aperçu la veille au chevet de son père mais ils n’avaient pas été présentés. L’homme lui parut d’emblée sympathique.

– “ Je m’appelle Grimion. J’ai vu que tu étais seul à ta table, alors je me suis dit qu’un peu de compagnie te ferait du bien après les épreuves de ces derniers jours.”
– “ Installez-vous, vous ne me dérangez pas. ”
– “ Nous n’avons pas été présentés hier. Je connaissais bien ton père, Edonn De Sandris, c’était un homme de bien. Je lui rendais visite de temps en temps au gré de mes voyages. Il me manquera. ”
– “ A moi aussi. ”
Les deux hommes restèrent quelques secondes silencieux en souvenir du disparu. Puis Grimion reprit la parole.
– “ Je sais que ton frère t’a forcé à quitter le domaine. As-tu pensé à ce que tu allais faire maintenant ? ”
– “ Pas vraiment, peut être rallier Kalienne et m’engager dans l’armée du Roi Gorgyn… ”
– “ Oui, j’ai entendu dire que tu étais un excellent cavalier et un redoutable épéiste. Mais je ne crois pas qu’aller à Kalienne sois une bonne idée, tu t’y ennuierais. Tu es fait pour une vie d’aventures, de combats. Si tu as du courage, rejoins plutôt la forteresse de Kaïber. Je sais que ce nom évoque des images effrayantes mais c’est dans de tels endroits que naissent les héros. Penses-y, Kerlhann. Mais je vois que tu es fatigué, ces derniers jours se sont avérés éprouvants. Montes te coucher et dors, nous reparlerons demain matin si tu veux. ”
Alors que Kerlhann, ivre de fatigue, le remerciait et montait dans sa chambre, Grimion murmura pour lui-même ces quelques paroles.
– “ Dors bien, Kerlhann l’Errant. La nuit porte conseil… ”   

Deuxième Partie:
PACTE SCELLÉ 

Kerlhann avait très mal dormi la nuit précédente, non pas à cause du bruit des clients de l’auberge, mais parce qu’un tas d’images étaient venues l’assaillir. Il avait vu son père étendu sur son lit de mort, sa sœur en larmes pendant l’enterrement, le sourire sardonique de son frère quand il avait franchi le pont-levis du château, … Les cauchemars l’avaient laissé au matin épuisé, en nage, mais animé d’une volonté farouche. Il avait décidé de ne plus se laisser abattre, d’arrêter de s’apitoyer sur son sort. Son frère le chassait du domaine, très bien, il n’avait de toutes façons aucune envie de mener une vie de seigneur. Bien sûr il était attaché aux terres de Sandris et aux hommes qui l’habitaient, mais Kerlhann n’avait jamais pensé rester toute sa vie là-bas. Finalement Alandre lui avait rendu sa liberté, celle de parcourir les routes sans attaches, de vivre l’aventure au jour le jour ; il allait pouvoir devenir comme ces chevaliers errants dont on lui racontait les histoires quand il était enfant. Le jeune homme était descendu dans la salle commune où Grimion l’attendait devant un bol de lait frais et du pain tout juste sorti du four. Kerlhann avait bien réfléchi aux paroles du Barde et s’était rendu compte que ce dernier avait probablement raison. Pour quelqu’un comme lui, chevalier sans terre, doué pour le métier des armes mais sans hommes à mener au combat, il n’y avait pas beaucoup de solutions ; seul Kaïber pouvait lui apporter le danger et la gloire qu’il recherchait. Il avait annoncé sa décision à Grimion pendant le petit-déjeuner. Ce dernier, ravi, lui avait alors remis une lettre de recommandation à présenter à Kyllion le Paladin, représentant du Roi Gorgyn et commandeur des forces barhannes en la forteresse de Kaïber, un homme que le Barde semblait bien connaître et qu’il lui avait présenté comme un homme d’honneur. Kerlhann s’était alors senti comme investi d’une mission d’importance, comme si la confiance que lui accordait Grimion l’obligeait à tout entreprendre pour ne pas le décevoir, à se montrer digne du noble héritage des Lions. C’était donc avec une confiance sereine qu’il était remonté en selle et qu’il avait fait ses adieux à Grimion. Puis il était parti vers le Sud, vers la forteresse de Kaïber.


La pluie n’avait cessé de tomber depuis l’enterrement de son père, un orage s’était même déclaré depuis quelques minutes, mais Kerlhann, protégé par son manteau imperméable, ne s’en souciait guère. Cela faisait partie des rares effets qu’il avait pu emporter dans son départ précipité de Sandris, avec son épée, son arc et l’épaisse armure de cuir qu’il utilisait généralement pour la chasse. Il était d’humeur morose, le voyage ne s’étant pas montré particulièrement aventureux jusqu’à maintenant. Il n’avait pour le moment eu à affronter que le froid et les intempéries, un bien piètre défi pour celui qui rêvait d’affronter les hordes obscures d’Achéron. Il perçut soudain les échos d’un combat et scruta l’horizon assombri par la pluie. Au loin il aperçut une frêle silhouette aux prises avec deux énormes créatures, des Wolfen. Kerlhann lança aussitôt son cheval au galop et chargea l’un des monstres au moment où la jeune femme brune roulait à terre, déséquilibrée par une attaque brutale. Le Wolfen qu’il avait chargé se retourna au dernier moment et réussit à parer instinctivement le coup d’épée que Kerlhann lui portait. C’était un adversaire coriace, qui prenait un plaisir visible à l’affrontement. Un sourire mauvais retroussait ses babines, laissant voir des crocs impressionnants. Le plus étrange était que la bête portait ce qui ressemblait à une muselière ; Kerlhann n’avait jamais vu de Wolfen avec un tel accoutrement, même sa façon de se battre, vicieuse, rapide et refléchie, n’était pas le style habituel des enfants d’Yllia. Le guerrier du Lion sentait qu’il était capable de battre son adversaire mais sa technique de combat inhabituelle l’avait perturbé et il mit un peu de temps à prendre le dessus sur le Wolfen. Il multipliait feintes et attaques, blessant la créature à de multiples reprises, l’obligeant à perdre son assurance carnassière. Le monstre se défendait de moins en moins bien, montrait des signes de faiblesse et Kerlhann, d’un large revers de sa lame, finit par l’achever. Il se tourna aussitôt vers la jeune femme qui lui avait paru en mauvaise posture, mais à peine eut-il fait volte-face qu’elle plantait sa longue dague dans la gorge du Wolfen.

Le Barhan descendit alors du dos de Bourrasque pour se présenter. La femme restait immobile, pâle, la respiration haletante ; Kerlhann l’entendit murmurer des remerciements avant de la voir s’évanouir. Il se précipita pour la rattraper avant qu’elle ne s’écroule au sol, il aperçut alors la large tache de sang qui s’élargissait sur sa chemise. Déchirant le tissu déjà mis à mal, il découvrit une plaie profonde et large d’un doigt, qui s’étendait de l’aine jusqu’au thorax. Le sang continuait à s’écouler et il lui fallait au plus vite refermer la blessure. Il porta la jeune femme un peu plus loin, l’étendit sur la mousse au pied d’un arbre, puis alla chercher dans ses fontes une gourde et les herbes médicinales qu’il transportait toujours avec lui. Il versa de l’eau sur la plaie pour la nettoyer puis, avec les herbes broyées, il fit une sorte d’emplâtre qu’il appliqua sur la blessure de la jeune femme. Le saignement s’arrêta rapidement, il ne restait plus qu’à attendre qu’elle reprenne conscience et Kerlhann se décida à installer un campement sommaire. Il attacha les chevaux à un arbre puis ramassa du bois pour faire un feu ; en passant devant les cadavres des Wolfen, le cavalier s’étonna encore de leur étrange apparence. La pluie s’était maintenant transformée en bruine que le couvert des arbres suffisait à arrêter. La jeune femme aurait sans doute faim quand elle reviendrait à elle, aussi il commença à faire griller un peu de viande. Elle finit par reprendre conscience au bout de quelques minutes ; Kerlhann la regarda s’éveiller et recouvrer ses esprits, puis manifesta sa présence quand elle essaya de se relever.
– “ Ne bougez pas trop, vous risqueriez de rouvrir la plaie. ”
– “ C’est bon, je ne suis pas mourante. ”
Le jeune homme ne s’attendait pas à une réponse aussi cinglante. La sécheresse des propos de la femme à qui il avait prêté secours le vexa et il se replongea dans sa cuisine. Elle dut se rendre compte de sa maladresse puisqu’elle s’adressa à lui peu de temps après, sans agressivité cette fois.
– “ Merci de m’être venu en aide, sans vous je crois que je serais morte à l’heure qu’il est. ”
– “ Je ne pouvais pas laisser ces monstres vous massacrer sans bouger, je ne pouvais pas ne pas intervenir. ”
– “ Là d’où je viens personne n’aurait bougé, on aurait même détourné le regard pour faire comme s’il ne se passait rien. ”
– “ C’est que vous n’avez encore jamais côtoyé de nobles du Lion, jamais un Barhan n’aurait laissé une femme se faire agresser sans lui venir en aide ! ”
La jeune femme avait laissé transparaître un peu d’amertume dans ses propos, mais Kerlhann avait rétorqué avec une telle passion qu’elle n’avait pu se retenir de sourire
– “ Je ne suis pas tout à fait une jeune fille sans défenses. ”
– “ Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire, rétorqua le cavalier, gêné, mais vous étiez seule, c’étaient des Wolfen… ”
– “ Ce n’étaient pas des Wolfen ordinaires, ils semblaient plus rusés, plus malveillants, plus cruels. ”
– “ C’est aussi ce qu’il m’a semblé, il est normalement rare qu’ils s’éloignent ainsi de la forêt de Diisha. Je n’avais jamais vu non plus un armement aussi étrange que le leur… ”
Kerlhann se plongea dans ses pensées. Cela faisait des années qu’on n’avait pas vu de meute Wolfen errer sur ces terres et cette présence l’inquiétait. Puis se ravisant qu’il ne s’était toujours pas présenté, il se releva et tendit une main amicale à la jeune femme.

– “ Je m’appelle Kerlhann, Kerlhann de Sandris. ”
Elle parut hésiter mais finit par serrer sa main en souriant.
– “ Sienne. De Cadwallon… ”
Il comprit mieux alors la méfiance naturelle qu’elle avait d’abord manifesté et les propos qu’elle avait tenu précédemment : la jeune femme était originaire de la Cité des Voleurs. Il lui répondit très aimablement.
– “ Je suis ravi de faire votre connaissance, Sienne. ”
– “ Et moi ravie que vous m’ayez sauvé la vie, Kerlhann. ”
– “ N’en parlons plus, prenez plutôt un morceau de viande, vous devez être affamée après ce combat. Et puis vous avez perdu beaucoup de sang, il vous faut récupérer des forces. ”
Kerlhann vit la jeune femme se jeter avec appétit sur le repas qu’il avait préparé. Alors qu’elle mangeait, le Barhan se mit à lui parler de tout et de rien, évoquant tour à tour son histoire ou ses projets. Sienne l’écoutait en silence, hochant parfois à la tête en réponse à ses question, souriant à certaines de ses réflexions. En fait la présence de la jeune femme le troublait profondément ; elle était belle bien sûre, mais ce qui intimidait le plus le jeune homme c’était cette assurance, cette force qui transparaissait dans chacune de ses attitudes. Pour Kerlhann, habitué aux jeunes filles de la noblesse d’Alahan qui baissaient les yeux devant les hommes et ne parlaient que quand on le leur permettait, le regard insistant que Sienne posait sur lui le mettait mal à l’aise. Il essayait de cacher son trouble par ce flot de paroles, regardant le moins possible la jeune femme. Il ne pouvait éviter néanmoins de jeter des coups d’œil réguliers à son visage dur mais plein de beauté, détournant ensuite rapidement son regard, le cœur battant et les joues en feu.

Sans que Kerlhann s’en soit vraiment rendu compte, Sienne s’était rapprochée de lui, et il fut totalement surpris quand elle posa ses lèvres sur les siennes. Désemparé, le souffle coupé, il ne pensa pas une seule seconde à la repousser mais l’attira au contraire dans ses bras. Il commença à la déshabiller mais la soudaineté de ce moment, le trouble rendaient ses gestes maladroits. Ce n’était pas la première fois bien sûr qu’il serrait une femme contre lui mais il n’avait eu des aventures qu’avec des paysannes intimidées par son rang. Jamais Kerlhann ne s’était senti aussi gauche, aussi emprunté ; Sienne menait le jeu, guidait ses gestes, imposait son rythme. Elle aimait comme elle se battait, avec fougue et désespoir, comme si sa vie en dépendait. Elle semblait s’oublier, échapper au monde dans l’étreinte et emportait totalement le jeune garçon dans sa dérive. Plus rien n’importait que le plaisir dont ils s’enivraient.

Kerlhann s’éveilla en sursaut. Il ne se rappelait pas s’être endormi et avait dû sombrer brutalement dans le sommeil. Le jour se levait à peine et la clairière était encore plongée dans une douce pénombre. Le jeune homme chercha sa compagne du regard mais ne la vit point à ses côtés. Le cheval de la jeune femme n’était plus attaché à l’arbre où il l’avait laissé et toutes ses affaires avaient été emportées : Sienne avait disparu sans un bruit au beau milieu de la nuit. Kerlhann ne s’étonna pas de cette absence, les quelques heures qu’il avait passé avec la jeune femme lui avaient fait comprendre que Sienne était une ombre, insaisissable et sans attaches. Il était bien sûr un peu triste mais curieusement il était persuadé de croiser à nouveau sa route, la nuit qu’ils avaient passé ensemble lui apparaissait comme un pacte scellé.
Lentement il rassembla ses affaires, harnacha Bourrasque, puis il reprit la route de Kaïber. 

3e partie :
Châtiment et miséricorde 

Kerlhann voyageait maintenant depuis plusieurs semaines. Les routes des Baronnies étaient sûres et son périple avait été des plus tranquilles. L’hiver approchait et les routes étaient de moins en moins fréquentées. Bientôt un manteau neigeux recouvrirait le sud des terres d’Alahan et chacun resterait calfeutré chez soi. Les paysans s’empressaient de faire des réserves pour se préparer à affronter les rudes mois hivernaux. Les récoltes n’avaient pas été bonnes cette année encore dans cette partie du Royaume. Sans doute le roi Gorgyn devrait-il puiser dans les réserves royales afin de nourrir son peuple, comme il l’avait fait l’année précédente. Kerlhann avait escorté un moment un marchand Gobelin qui se rendait à Kalienne. Le commerçant, qui se nommait Samizdatium, avait au départ presque imposé sa présence au cavalier. Mais il s’était montré volubile et plein d’esprit, et il avait fini par dissiper chez le jeune barhan la méfiance qu’inspirent généralement les natifs de No-Dan-Kar. Voyager en sa compagnie avait même été agréable. Son bavardage avait distrait Kerlhann de ses sombres pensées et il avait apprécié de pouvoir discuter tout en chevauchant. Lorsque leurs routes avaient dû se séparer, Samizdatium avait fait promettre au jeune Barhan de venir lui rendre visite si jamais ses pas le menaient jusqu’à Cadwallon. Il y avait un comptoir et une vaste maison dans laquelle il serait ravi d’héberger le voyageur. Kerlhann avait promis en pensant qu’il avait décidément beaucoup de raisons de visiter un jour la ville que l’on appelait la Cité des Voleurs.
Depuis quelques jours il pouvait discerner l’ombre titanesque des Monts du Béhémoth qui se découpait à l’horizon. Leur présence avait quelque chose d’à la fois rassurante et inquiétante. C’étaient eux qui abritaient la Baronnie maudite d’Achéron, mais c’était aussi l’unique rempart contre ses hordes dégénérées. Sans le gigantisme de Monts du Béhémoth et la résistance acharnée des soldats de Kaïber, il y a longtemps que les Morts-Vivants auraient déferlé sur Aarklash. Kerlhann voyait leur masse prendre un peu plus d’ampleur chaque jour, à mesure qu’il s’en approchait. Les montagnes semblaient vouloir occulter l’horizon, leurs cimes se perdaient dans les nuages, comme si elles se devaient de camoufler au monde l’existence du territoire dévoué aux Ténèbres. Il pénétra bientôt sur les terres de la Baronnie de Daneran. L’air était maintenant froid et sec, et le jeune homme avait toute les peines du monde à se réchauffer avec les vêtements légers qu’il avait pu emporter. Dormir à la belle étoile était de plus en plus pénible. Lorsqu’il s’éveillait le matin, il lui fallait plusieurs minutes pour désengourdir ses membres et ses articulations. Il croisait de moins en moins de monde sur le chemin, juste quelques caravanes marchandes qui convoyaient le fer vers Allmoon ou une autre cité marchande. Le minerai était une des plus grandes richesses de Daneran et des mines à ciel ouvert crevaient de plus en plus souvent le sol de la Baronnie. De nombreux fermiers avaient quitté leurs terres en espérant trouver fortune dans l’extraction du métal mais bien peu avaient vu leurs efforts récompensés. Plus il s’approchait des montagnes, plus le paysage était désolé, sinistre. Les champs semblaient avoir été abandonnés à l’ivraie et Kerlhann ne vit nul paysan y travailler. Il traversa quelques hameaux eux aussi déserts. On aurait dit que la population de la Baronnie de Daneran s’était enfuie vers un ciel plus clément. La présence toute proche d’Achéron se faisait sentir ici et Kaïber ne devait plus être très loin maintenant. Bourrasque s’était fatiguée au cours de ce long mois de chevauchée. Le Barhan voyait bien qu’elle renâclait, qu’elle acceptait plus difficilement les ordres, signes d’épuisement chez sa jument. Il la laissa marcher au pas pour se reposer et en profita pour contempler la lande. Ce paysage nu, inhabité, lui faisait froid dans le dos. Les forêts épaisses et bruissantes de vie de Laverne lui manquaient. Sa monture fit soudain une grande embardée qui le jeta à terre et elle s’enfuit au galop. Une douzaine d’hommes hagards venaient de jaillir de derrière les rochers et le menaçaient de leurs bâtons. Ils étaient blêmes, dépenaillés mais on voyait sur leurs visages la marque du désespoir. Ces hommes n’avaient rien à perdre et même s’il ne s’agissait que de pauvres hères poussés par la disette à s’adonner au brigandage, ils pouvaient être dangereux. Kerlhann sortit sa lourde épée du fourreau et fit quelques moulinets, espérant effrayer ses agresseurs. Ceux ci semblèrent hésiter devant l’arme massive du jeune noble mais aucun ne prit ses jambes à son cou. Ils étaient nombreux et la faim était la meilleure des déterminations. Tout en gardant les brigands à l’Ïil, le Barhan leur parla d’une voix calme :
–          ” Je ne possède rien, ni or, ni vivres ! Eloignez vous, je ne veux pas vous faire de mal. “
Ses assaillants ne semblaient pas avoir écouté ses paroles et continuèrent à s’approcher lentement, craintifs mais déterminés. L’un d’entre eux leva son gourdin au dessus de sa tête et l’abattit sur le crâne du jeune noble. Celui-ci para facilement le coup du revers de sa lame, mais cette attaque avait initié la curée et tous les brigands se jetèrent sur lui. Kerlhann se démena comme un beau diable, parant et esquivant les assauts. Il aurait pu se débarrasser d’eux rapidement mais il ne voulait pas occire l’un de ces paysans et ne cherchait donc qu’à se défendre. Quand il le pouvait, il frappait avec le pommeau de son arme pour assommer ses assaillants mais il retenait ses coups pour ne pas en tuer un par mégarde. Ses agresseurs n’avaient pas les mêmes principes et le cognaient avec hargne. Il vit l’un de ses agresseurs sortir un couteau de sa tunique et tenter de le poignarder avec un cri de dément. Par pur réflexe, le jeune noble lança son bras en avant ; son poing rencontra le visage de l’homme qui s’écroula, le nez cassé. La vue du sang de leur compagnon sembla déchaîner les paysans qui redoublèrent de violence. Kerlhann crut qu’il allait être submergé quand lui parvinrent les échos d’une cavalcade. En poussant un même cri de guerre, trois chevaliers chargèrent la bande de brigands et pourfendirent de leurs lances plusieurs d’entre eux. Laissant leurs armes empalées dans le cadavre des malheureux, ils tirèrent leurs épées de leurs fourreaux et vinrent au secours du jeune Barhan. Devant ce renfort inattendu, ses agresseurs ne tardèrent pas à s’enfuir mais les chevaliers se montrèrent sans merci et les pourchassèrent à travers la lande. Rares furent ceux qui réussirent à échapper à leur poursuite implacable. Kerlhann regardait interloqué les paysans se faire massacrer par les chevaliers ; il n’arrivait pas à comprendre cette tuerie insensée, était-ce là le légendaire héroïsme des Lions ?
Les trois soldats revinrent vers lui une fois leur sinistre besogne achevée. L’un d’entre eux ôta son heaume et s’approcha de lui. Il se tenait très droit sur sa monture caparaçonnée et le toisa du regard :
– ” Puis-je savoir qui vous êtes et ce que vous faîtes sur les routes de Daneran ? “
– ” Je… je m’appelle Kerlhann de Sandris, je me rendais à la forteresse de Kaïber quand ces pauvres hères m’ont attaqué. “
– ” Kaïber, vraiment… Et peut-on savoir ce que vous comptez faire une fois arrivé là-bas ? “
La voix de l’homme était sarcastique. Cette morgue, cette suffisance rappelait à Kerlhann son frère Alandre. Autant dire que ce chevalier ne lui était pas d’emblée sympathique.
– ” Je viens m’engager pour combattre les forces d’Achéron. J’ai ici une lettre qui me recommande auprès de Kyllion le Paladin, commandant des armées barhannes à Kaïber. “
Tout en parlant, il avait sorti de ses fontes le parchemin écrit par Grimion il y avait plusieurs semaines de cela et il le tendit au chevalier. Pendant que ce dernier l’examinait avec circonspection, le jeune Barhan ne put s’empêcher de lui poser la question qui lui brûlait les lèvres.
– ” Aviez vous besoin de massacrer ces malheureux ? Les mettre en fuite aurait sans doute été suffisant. “
L’homme releva la tête et son regard acéré croisa celui de Kerlhann. Il lui répondit d’une voix dure, en maîtrisant à grand peine son énervement.
– ” Nous sommes ici sur les terres du Baron Dragan d’Orianthe, aux portes d’Achéron. Nous nous battons chaque jour pour protéger Alahan d’une invasion maléfique. Tous, nous avons perdu un frère, un ami dans ce combat mais nous ne fléchissons pas face à l’adversité. Tous ces brigands bafouent la mort de ceux qui sont tombés à Kaïber, ils trahissent l’esprit du Lion. Nous ne pouvons pas laisser la vermine se développer au sein même de nos terres. “
La mâchoire crispée, il se replongea aussitôt dans la lecture. Kerlhann ne sut quoi répondre à ce discours. Il n’était absolument pas d’accord avec le chevalier, pour lui la lutte contre les Ténèbres ne devait pas exclure la compassion et l’indulgence. Un silence pesant s’était installé, rompu au bout d’une longue minute par le soldat.
– ” Il est écrit ici que vous êtes un habile combattant, je ne pense pas qu’on refuse des volontaires à la forteresse. Mais je ne comprends pas votre démarche, que croyez vous donc trouver à Kaïber ? Je vous préviens tout de suite, ce n’est pas là-bas que vous pourrez réaliser vos rêves de chevalerie ! On y livre une âpre lutte contre les Ténèbres, une lutte quotidienne, douloureuse. Croyez vous que vous serez capable d’accepter la mort et la souffrance pour seules compagnes ? “
Le ton de l’homme était dur, inquisitorial. Kerlhann lui répondit d’une voix qu’il espérait assuré.
– ” Je supporterais tout cela de mon mieux et me montrerai digne de mon rang et de mes pairs. “
– ” Le mieux n’est pas suffisant à Kaïber… Nous vous y conduirons demain, ce soir vous dormirez à la garnison de Lebrac. “
Kerlhann suivit les chevaliers jusqu’au petit fort, un bâtiment solide et austère perché sur un piton rocheux au pied des Monts du Béhémoth. La nuit était brutalement tombée quelques minutes avant qu’ils ne pénètrent dans la cour du fortin. Plusieurs hommes en armes se réchauffaient autour d’un brasero et examinèrent avec curiosité le jeune cavalier. Son cheval fut conduit aux écuries et on lui attribua une cellule au confort spartiate, occupée par une simple couche en pierre et un seau d’eau glacée. Kerlhann posa ses affaires sur le sol puis nettoya ses mains et son visage des poussières de la route. Il s’allongea ensuite sur sa couche. Comme souvent depuis quelques semaines au moment de s’endormir, ses pensées étaient hantées par le visage d’une jeune fille brune au sourire narquois. Incapable de trouver le sommeil, il sortit de sa cellule et se mit à errer au hasard dans la garnison. Il finit par arriver sur les remparts du fortin. D’ici, on pouvait contempler l’immensité de la lande et la route rocailleuse qu’il avait emprunté un peu plus tôt, seulement éclairées par la lumière d’Yllia. Au delà, plus sombre que la nuit elle même, on devinait la masse imposante des montagnes. Pendant de longues minutes Kerlhann scruta l’obscurité à la recherche d’on ne sait quel signe. Finalement, il redescendit se coucher et s’endormit du sommeil du juste. 

4e partie :
La citadelle de lumière
.

Les soldats avaient réveillé Kerlhann à l’aube. Endormi, il s’était équipé dans le froid cinglant du petit matin puis avait suivi les hommes d’armes dans la cour de la garnison. Là, il avait retrouvé sa monture harnachée et les chevaliers prêts à partir. Le Barhan monta en selle sans attendre et ils se mirent en route. Le voyage se déroula dans un silence pesant. Les cavaliers avaient adopté un trot soutenu qui empêchait toute discussion. Une heure plus tard, ils arrivaient en vue de la forteresse de Kaïber. Les murailles pourtant massives de la citadelle paraissaient presque écrasées par la taille démesurée des Monts du Behemoth. Une faille immense coupait les montagnes en deux, comme si un dieu titanesque avait voulu déchirer la terre d’un coup de griffe. Le légendaire bastion de la Lumière avait été édifié au cœur même de cette passe. Ses remparts s’appuyaient sur la roche et s’élevaient à des hauteurs vertigineuses. On aurait dit que les hommes qui les avaient bâtis avaient essayé d’obstruer à jamais la déchirure. Les chevaliers du Lion immobilisèrent leurs montures au pied d’un escalier. Leur capitaine s’approcha du jeune noble et lui tendit un mince phylactère :
– « Nous vous laissons poursuivre seul l’ascension. Présentez ceci aux sentinelles. Je vous souhaite bon courage, Kerlhann de Sandris, vous en aurez besoin… »
Les trois soldats tournèrent ensuite bride et abandonnèrent le jeune homme. Il les regarda gagner la plaine et repartir au grand galop. Il s’engagea ensuite dans un escalier démesuré qui montait vers la célèbre Porte des Justes, le seul véritable accès à la forteresse. Les marches étaient suffisamment larges pour permettre le passage des chevaux. Kerlhann leva les yeux vers le ciel : il ne parvenait pas à distinguer les hauteurs, perdues dans les nuages. Après plusieurs centaines de marches, il arriva à une première garnison, une robuste tour de pierre. Les lourds battants de bois de la porte s’ouvrirent bientôt devant lui pour le laisser passer. Une vingtaine de soldats occupaient le fortin. Kerlhann tendit le parchemin à une des sentinelles qui, après l’avoir examiné, le laissa poursuivre son chemin. Le jeune Barhan continua son ascension. Les mois de voyage avaient fatigué sa jument et il dût bientôt mettre pied à terre. Il grimpa ainsi pendant de longues minutes et franchit le passage de deux nouvelles garnisons. Il parvint enfin à un énorme bastion camouflé par le brouillard. Une fois qu’il eut pénétré à l’intérieur, le jeune noble se rendit compte que le fort se prolongeait dans les profondeurs de la montagne. L’homme qui avait le commandement de cette citadelle était un Akkylannien dans la force de l’âge, revêtu d’une armure qui avait connu de nombreuses batailles. Il vint à la rencontre de Kerlhann et examina à son tour le parchemin puis le jeune homme avec gravité. Sans faire un seul commentaire, il lui expliqua qu’il lui fallait laisser là sa monture et poursuivre à pied. Un soldat se présenta pour emmener Bourrasque aux écuries et le Barhan les regarda disparaître dans les galeries avec un pincement au cœur, comme s’il ne devait plus jamais revoir celle qui avait été la compagne de ses errances. Le Griffon le conduisit ensuite aux escaliers escarpés qui menaient à la Forteresse proprement dite. Raides et étroits, ils donnaient des deux côtés sur le vide. Heureusement, des nappes de brume empêchaient Kerlhann de distinguer la hauteur vertigineuse qui le séparait du bas. Toutes les vingt marches, une vasque d’huile enflammée venait percer le brouillard. Un vent glacé s’engouffrait à travers les précipices en produisant des gémissements terrifiants. Au bout de plus d’une centaine de marches, le jeune noble passa au-dessus de la couche de brumes. La Porte des Justes apparut soudain dans toute sa splendeur, une vingtaine de mètres plus haut. Un fronton en bas-relief supporté par des colonnes de marbre étincelant surmontait une gigantesque porte métallique à deux battants. Le symbole de l’Alliance de Lumière, gravé à l’or chaud dans le métal, faisait penser à un sceau que l’on aurait apposé sur l’entrée de la forteresse. Kerlhann commençait à distinguer une partie de celle-ci, il apercevait des hautes tours reliées par des ponts, des remparts percés de meurtrières. Le jeune homme se présenta face au portail. Il resta immobile de longues minutes, ne pouvant se résoudre à appeler. Il se sentait presque ridicule, insignifiant face à l’impérieuse majesté de la Porte des Justes. Une poterne finit par s’ouvrir, invisible dans la roche. Quatre hommes en armes en jaillirent et entourèrent Kerlhann. Ce dernier pénétra donc sous bonne garde dans la Forteresse de Kaïber. L’intérieur était aussi impressionnant que la façade : il venait d’entrer dans une salle immense donnant sur d’innombrables galeries. Au-dessus de chaque ouverture se trouvait une niche dans laquelle était installée une statue. Chacune d’entre elles faisait à peu près trois mètres de hauteur et représentait l’un des héros qui avait marqué l’histoire de Kaïber et du Royaume d’Alahan. Kerlhann tendit à un des soldats le parchemin qui, jusqu’à présent, lui avait ouvert toutes les portes. L’homme y jeta un regard soupçonneux puis lui indiqua le chemin menant à la Tour de l’Aigle, le siège du commandement Barhan. Le jeune noble se mit aussitôt en quête. Une foule d’hommes en armes traversait salles et couloirs d’un pas martial. Il croisa des fantassins Akkylaniens, des gardes portant les couleurs du Lion, il aperçut même un Chevalier-Dragon Cynwäll, le visage dissimulé sous un masque hiératique. Il erra de nombreuses minutes dans les couloirs immenses de la citadelle, se perdit au détour d’une galerie, dût demander son chemin à plusieurs reprises. La forteresse répondait à des dimensions gigantesques et il était aisé de s’y égarer. Alors qu’il s’approchait enfin de la Tour de l’Aigle, le bruit assourdissant d’un cor de guerre retentit dans tout l’édifice. Kerlhann vit alors tous les soldats se précipiter dans la même direction. Il comprit rapidement que les légions d’Achéron venaient d’attaquer la muraille et courut à la suite des combattants. Tous avançaient dans l’ordre, ne cédant ni à la précipitation, ni à la panique. Devant le regard déterminé que la plupart d’entre eux affichaient, il comprit que ce genre d’attaque était coutumier.
Il entendit les bruits de la bataille plusieurs secondes avant d’arriver sur les lieux et déboucha enfin sur les remparts assiégés. La muraille s’était effondrée sur plusieurs mètres, ses fondations érodées par les serviteurs des Ténèbres. De nombreux lanciers tentaient d’empêcher l’intrusion des hordes dégénérées par la brèche qui s’était formée. Tous, Barhans, Akkylanniens, Cynwäll, se battaient au coude à coude, avec courage, mais ils avaient fort à faire face aux troupes innombrables d’Achéron. L’odeur de décomposition prit Kerlhann à la gorge. Il lui était déjà arrivé d’affronter des morts-vivants, mais jamais il n’avait été confronté à une telle masse. C’était une véritable marée de squelettes, de zombies et de goules qui se jetait avec hargne sur les remparts, sans relâche. Chaque créature achevée par les défenseurs de Kaïber était aussitôt réanimée par les Nécromanciens. Plus terrible encore, chaque défenseur qui tombait se relevait aussitôt sous les traits d’un mort-vivant. Les soldats devaient alors se battre contre leurs anciens frères. Postés sur les remparts, archers et fusiliers faisaient pleuvoir leurs projectiles sur les légions ténébreuses ou abattaient les Anges Morbides en plein vol, mais même leurs tirs meurtriers ne semblaient pas en mesure d’arrêter l’assaut des Obscurs. Kerlhann sortit sa lourde lame de son fourreau et se lança dans la mêlée. Plusieurs morts-vivants avaient réussi à gravir les débris et montaient à l’assaut des murailles. Il faucha un squelette d’un unique coup d’épée et vint au secours d’un archer aux prises avec deux goules. Il planta son arme dans l’échine de celle qui lui tournait le dos et la retira d’un coup sec. La créature s’effondra en hurlant. Sa congénère venait juste d’égorger le Lion et se tourna vivement vers Kerlhann. Elle balançait sa tête de façon spasmodique, jouaient avec ses poignards en une tentative d’intimidation. Nullement impressionné, le Barhan lui porta un violent coup de taille que la créature nécrophage para avec agilité. Elle se fendit immédiatement pour riposter et Kerlhann esquiva son arme de justesse. Il ne s’attendait pas à autant de réflexes et de vivacité chez un séide d’Achéron. Il adopta une attitude plus prudente et attendit le bon moment pour porter une attaque dévastatrice. La goule ne put rien faire face au coup qui lui perfora le torse et elle mourut en un instant.Le jeune homme remit aussitôt son épée au fourreau pour utiliser son arc. Il encocha une flèche et tira instantanément sur les assaillants qui se pressaient aux pieds des remparts. Sans vérifier que son trait avait bien touché au but, il décocha une nouvelle flèche. Il tirait sans vraiment prendre le temps de viser, à l’instinct, mais chacun de ses coups atteignait sa cible, la blessant ou la tuant sur le coup. Il marchait en même temps le long des remparts, cherchait à s’approcher au plus près des rangs ennemis. Autour de lui, les combats se déroulaient avec violence. Kerlhann arriva au bord du précipice, là où la muraille s’était effondrée. Au-delà de la brèche s’étendait la Baronnie déchue d’Achéron. Il ne prit pas le temps de contempler ce paysage qui hantait les cauchemars de tous les habitants du Royaume d’Alahan…
Les morts-vivants n’avaient pas encore réussi à forcer le passage, mais la digue formée par les défenseurs semblait constamment sur le point de se rompre. Le jeune noble distingua au milieu des squelettes un guerrier gigantesque, couronné d’un effrayant casque cornu. Il maniait une énorme lame qui fauchait impitoyablement parmi les défenseurs. Les soldats de Kaïber semblaient le craindre et leurs rangs s’écartaient sur son passage. Kerlhann tendit la corde de son arc et visa avec précision le Guerrier Crâne. La flèche fila à la vitesse du vent et se planta violemment dans l’épaule du mort-vivant, sans que ce dernier ne semble s’en rendre compte. Il continuait son œuvre de carnage, pénétrant un peu plus la ligne de défense. L’archer le visa à nouveau, mais cette fois-ci l’Achéronien détourna son tir d’un revers de sa lame. Il avait repéré le jeune noble et tendait vers lui son épée, comme par défi. Kerlhann hésita un instant, puis il reprit son arme en main et sauta sur les rochers en contrebas, au milieu des poupées macabres. D’un large mouvement de sa lame, il maintint les créatures dégénérées à distance, mais celles-ci ne semblaient pas vouloir s’approcher et le laissèrent venir à son adversaire. Il avança avec prudence. Arrivé à quelques pas du Guerrier Crâne, le jeune homme se rendit compte que celui-ci le dominait au moins d’une bonne tête. Il n’eut pas eu le temps de détailler plus longtemps son adversaire que celui-ci lui assénait une attaque d’une rare brutalité. Kerlhann para l’assaut de justesse et ressentit dans son bras tout entier la puissance du coup. Son adversaire revenait déjà à la charge et il dut faire un pas de côté pour éviter un nouveau coup. A chacune de ses attaques, la cape élimée du damné, couverte de sang et de boue, claquait avec la violence d’un fouet. Pour le moment, le jeune noble ne pouvait faire autre chose que parer ou éviter les attaques du Guerrier Crâne, abasourdi par la puissance phénoménale et l’habileté démoniaque de son adversaire. Chacun de ses coups manquait de peu de l’éliminer définitivement et Kerlhann se demandait par quelle folie il avait pu accepter ce défi suicidaire. Il essayait néanmoins de tenir bon face à son adversaire, se défendait avec courage et énergie, ripostait quand il le pouvait. Plusieurs fois sa lame blessa les chairs nécrosées du mort-vivant, faisant couler un sang noir et épais, mais les blessures s’étaient presque instantanément refermées. Soudain, un coup d’une extrême brutalité projeta le Bahran à terre. En chutant au sol, Kerlhann avait lâché son épée. Désarmé, sonné par l’attaque dévastatrice de son adversaire, il était à la merci du Guerrier Crâne. Celui-ci se dressa au-dessus de lui comme une ombre funeste, un sourire cruel aux lèvres. Le jeune homme, à moitié assommé, tentait de fuir en rampant au milieu des ossements et des cadavres. Alors que l’Achéronien levait tel un couperet son épée pour l’exécuter, sa main se referma sur le manche d’une lance laissée par un défenseur mort au combat. En un ultime geste désespéré, il la projeta vers son ennemi. L’arme s’enfonça avec force dans l’abdomen du mort-vivant. Celui-ci regarda, presque surpris, la lance qui lui traversait le corps de part en part et tomba brusquement à genoux. Kerlhann se releva d’un bond et récupéra son épée. Il s’approcha ensuite du Guerrier Crâne, encore pâle d’avoir frôlé la mort de si près. Il prit son arme à deux mains et l’abattit d’un geste déterminé sur son ennemi. La lame brisa une des cornes obscures qui ornait son heaume et transperça l’épaule du combattant dégénéré qui s’effondra définitivement dans la poussière. L’élimination de leur meneur semblait avoir semé la confusion chez les soldats d’Achéron. Une grande clameur jaillit dans les rangs des défenseurs qui repoussèrent de plus belle leurs assaillants. Kerlhann chercha la Corne de Noirceur du Crâne dans les décombres et se pencha pour la ramasser. Une grande douleur l’envahit quand il s’en empara, mais il ne faillit pas et la brandit en signe de victoire. Il crut apercevoir avec stupeur le reflet fantomatique d’un navire crever les nuages qui camouflaient le soleil. Soudain, des éclats de lumière jaillirent de toute part autour de lui, explosèrent en gerbes fulgurantes et tout se brouilla devant ses yeux.

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