Ayane, Syhée Ophidienne
Carte(s) Supplémentaire(s) Rackham :
Rooted Profile
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1 Figurine par Carte
Concept : Edouard Guiton
Sculpture : MIHK Bigaud
Profil : Rackham
Socle : Infanterie 3 Cm
Taille Unité : Moyenne
Classe : Syhé, Esclave
Rang : Championne 1 Régulier
Affiliation:
Date de Sortie : Septembre 2005
Équipement(s) :
–
Compétence(s) :
Possédé, Bravoure, Toxique/ 0
(Artefact/ 1, Coup de Maître/ 0, Enchainement/ 2, Contre-Attaque/ 2)
Background :
“S’Erum est mon maître.”
“Mon maître ordonne, j’exécute. Nous formons un tout.”
Cry Havoc Nr.7 Page 54.
Ayane
Là, au beau milieu du combat, les gueules des canons pointées sur moi, j’ai vu l’horloge de la place s’arrêter. Net. Mes mains, bleuies par le froid de la saison des murmures, peinaient à tenir ma lame, mais je me sentais si fier ! Ayane s’était adossée à moi, elle me chuchotait des paroles de réconfort que je n’entendais pas et qui, pourtant, m’allaient droit au coeur. Ayane… mon mentor, mon amour, ma maîtresse. Qui dépendait de moi en cette seconde précieuse, qui s’appuyait sur moi. Pour qui je comptais. Nous n’avions pas une chance de survivre, à deux contre dix feux. J’allais mourir. La neige s’amasserait sur mon corps recroquevillé comme celui d’un grand chien et on n’en parlerait plus. J’allais mourir avec elle et cette pensée me faisait du bien. La première balle s’est écrasée contre ma poitrine.
Toute cette neige qui devenait si rouge. Ce goût salé dans ma bouche. Bon sang, j’allais inonder la rue ! Les francs ligueurs ont ri. Ils n’auraient pas dû. Ayane m’a parlé à l’oreille. Elle a souri tendrement
en disant « 1… 2… 3 ! ». J’étais mort, c’était évident. Évident et insensé. Les morts ne se relèvent pas. Ils ne bondissent pas en hurlant sur des tireurs embusqués. Mon corps a agi de lui-même. J’étais devenu l’Automate. J’étais entré dans son monde où les ténèbres brillent plus que les soleils d’Aarklash. La douleur m’a donné des forces, elle a dévoilé un autre moi que je ne connaissais pas. J’ai fauché le premier franc ligueur, étouff ant son rire graveleux dans un immonde gargouillis. Il me regardait encore,
surpris, tandis que je passais le gorgerin d’un second pour enfoncer la pointe de ma lame dans son cou.
“Milice !” a hurlé l’un d’eux en atteignant le crépuscule dans les bras d’Ayane. C’était la curée. Il en arrivait de partout. Bruit de bottes, odeur de poudre, ordres et râles d’agonie. Il ne pouvait pas y en avoir autant. Je comptais à voix basse. J’en avais tué huit. Ayane se battait avec fureur, encerclée par un groupe de six autres. Mais contre quoi nous battions-nous ?
Je n’ai compris qu’à la fin, lorsque le grand silence blanc s’est abattu sur la place. J’ai vu les uniformes
des miliciens. Le casque du capitaine flottait dans une mare brune. Les deux à mes pieds n’avaient pas
seize ans. Toute ma joie s’est enfuie et, tombant à genoux, je me suis mis à pleurer et à vomir en un
même hoquet. Ayane criait. Ce cri. Une douleur ef royable. Un triomphe aussi. Elle s’acharnait à coups désordonnés sur un cadavre. Elle était devenue folle. Elle s’est tournée vers moi et j’ai vu qu’elle aussi pleurait. J’étais criblé de balles. Elle s’est approchée et a ôté délicatement mon haubert de cuir annelé pour regarder mes blessures. Je ne sais pas ce qu’elle y a trouvé. Cinq, peut-être six impacts.
“Tu as été merveilleux, Caplan.”
Sa voix était si douce ! J’ai passé la main dans ses cheveux et elle s’est penchée pour boire le mauvais
goût dans ma bouche. Elle a défait la gaine de soie qui enserrait sa poitrine et m’a donné le sein, comme à un enfant. Tandis qu’elle ôtait ses cuissardes de métal dans un cliquetis métallique, je me suis senti fondre dans un tourbillon noir. Seule l’excitation me tenait éveillé. J’ai tenté maladroitement de me révolter. Je ne voulais pas assouvir mes désirs parmi les cadavres, sur le sol immonde d’une place de massacre, mais déjà, presque sans m’en rendre compte, je sombrais peu à peu dans l’inconscience.
Par intermittence, elle mordait fort mes épaules engourdies par le froid et me giflait à pleine force.
Elle vibrait sur un mode étrange qui hérissait toutes les fibres de mon corps et rallumait la flamme dans
mes veines mourantes. Son regard fixe et glacé me clouait comme un papillon sur une planche. En cet
instant, je me serais tué sans l’ombre d’une hésitation si elle me l’avait demandé. Elle était tout et je n’étais rien. Voulait-elle me donner ce sentiment ? Outrer sa victoire pour m’englober, moi, parmi ses victimes ? Les renforts des Nochers arrivaient. Au ralenti, Ayane s’est levée et, emportant ses soieries et ses pièces de métal, elle a quitté la place sans un mot, sans un regard. Les nochers m’ont mis dans une diligence et j’ai perdu connaissance. C’est la dernière fois que je t’aie vue, Ayane. Depuis, je me demande chaque jour pourquoi tu as fait ça. Mais maintenant je connais le secret, le sel : il n’y a que l’amour et la mort qui valent en ce monde, tout le reste n’est que vents et fumées.
Sitôt hors de vue, Ayane se mit à courir. Les larmes glissaient le long de ses joues. Elle hoquetait spasmodiquement dans sa fuite, attirant l’attention des âmes charitables de la rue en pente qui menait au quartier de la Bonne mine. Quelques mètres plus loin, elle s’effondra sous l’abri d’une porte cochère.
“Ça va, ma p’tite dame ?”
lança un apprenti meunierenfariné qui s’était arrêté devant elle.
Ayane avait déjà eu mal. Très mal. Elle avait toujours su faire face. Il la surveillait. Elle ne pouvait pas flancher, pas là, pas devant ce gamin.
“On vous a violentée, Madame ?”
Les gens commençaient à s’attrouper. Elle rassembla ses dernières forces et se releva.
“Je vais bien.”
Et si elle était en train de devenir comme lui ? Elle ne pensait plus qu’à une chose : les bains. Leurs senteurs florales, l’eau qui laverait tout et la rendrait neuve, intacte. Ayane reprit sa route en titubant. Elle était presque nue, l’épée encore dégainée, et serrait ses hardes contre elle. Elle n’avait plus d’orgueil, plus d’amourpropre. Elle voyait défiler les bâtiments troglodytes et les badauds des beaux quartiers dans une brume vaporeuse. À l’entrée souterraine des bains, elle s’affaissa dans les bras puissants du minotaure qui gardait les portes.
“Madame ’Yane peut pas entrer comme ça.”
“Laisse-moi… laisse-moi passer, Dôzer.”
Dôzer se gratta la tête. La situation était compliquée et il aimait bien madame ‘Yane. Elle l’avait sauvé, une fois. Et elle pleurait. Le colosse fit donc la seule chose possible : il desserra la main d’Ayane pour
lui enlever son arme et la rhabilla lui-même.
“Toi ma fifille, maintenant, Madame ‘Yane.”
Pour toute réponse, Ayane serra l’énorme brute contre elle et s’engouffra sous les arches vers son bassin favori, tout au fond des grottes. Un bassin d’eau noire qu’elle était seule à fréquenter. Elle fut nue en quelques secondes. L’eau tiède glissa sur sa peau claire, formant une pellicule opaque. Elle
s’abandonna, se laissant couler en tourbillonnant au gré du siphon. Fermant les yeux, elle revit un ophidien plonger sa langue au coeur d’orchidées rarissimes. Elle était ce serpent et approchait de la mue. Ayane avait l’impression d’avoir été violée. Elle se souvint du regard de Caplan, de sa bouche qui criait
“Tu es en train de me tuer !”
Pendant qu’elle s’acharnait à le maintenir en vie. Il la croyait si forte. Comme il se trompait…
En séquences saccadées, toute la scène repassa devant ses yeux. Les gifles, les morsures, les cailloux
de la place qui rongeaient la peau de ses genoux, le sang qui s’échappait de tous ces trous sur le torse
de Caplan et elle qui priait tous les dieux en même temps, elle qui n’y avait jamais cru.
“Ô Salaüel, Merin et Vortiris, gardez-le conscient. Je vous en prie, gardez-le conscient”.
C’était affreux comme il s’était épanché, mais il fallait le sauver et Ayane n’avait trouvé d’autre solution
que d’utiliser la force du désir. Elle avait manipulé les sentiments du nocher alors qu’elle-même était incapable d’en avoir. Mais qu’est-ce qu’il avait cru ? Que l’odeur du sang l’excitait ? Qu’elle prenait son plaisir dans les charniers ? Pauvre idiot. Un jour, elle le tuerait pour ça. La vie était décidément une chose bien étrange, pensa Ayane en se rappelant qu’elle avait sauvé Caplan en lui offrant sa douleur. Elle haussa les épaules et se lova sur les pierres froides qui bordaient le bassin. Elle aimait leur contact dur, presque une carapace.
Enfin apaisée, elle s’endormit comme une enfant.