Mehöl, Gardien du Sphinx

Carte(s) Supplémentaire(s) Rackham :

Rooted Profile

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1 Figurine par Carte

Concept : ?

Sculpture : ToDo

Profil : Rackham

Socle : Infanterie 3 Cm

Taille Unité : Moyenne

Classe : Quêteur

Rang : Incarné 1 Régulier

Affiliation :

Date de Sortie : Juillet 2005
(Cry Havoc Nr. 6)

Équipement(s) :

Compétence(s) :

Concentration/ 1, Éclaireur, Possédé, Vivacité, Vétéran
(Artefact/ 1, Coup de Maître/ 0, Enchainement/ 2, Contre-Attaque/ 2)

Background :

“Les temps anciens résonnent en ma mémoire.”
“Les Secrets doivent être révélés.”

Hybrid.
“Une, deux, trois… et quatre.”
Mehöl s’arrêta au centre du couloir. Devant lui, une lame circulaire jaillit du sol là où il aurait dû se trouver s’il avait continué à avancer. Le Cynwäll leva la main et indiqua aux Griffons que le chemin était désormais sûr.
“Ne pourriez-vous pas avancer plus rapidement ?” demanda Saphon.
Le Prêcheur était de plus en plus agacé et montrait ostensiblement son impatience. Selon les rapports des éclaireurs, la Loge de Hod était peut-être dans ce laboratoire, mais Mehöl n’y croyait guère. Cependant, il était persuadé que ce lieu regorgeait de pièges aussi variés que mortels.
Je ne puis avancer plus rapidement, Saphon, sans risquer la vie de vos hommes. Avancez plus vite, si besoin j’enverrais mes éclaireurs.”


Cry Havoc Nr. 5. Page 50-55.
Lahn émergeait tout juste des monts brumeux, ses rayons réchauffant timidement un début de journée printanier. Deux silhouettes cheminaient dans la lande s’étendant à l’est de Cadwallon, en direction d’un monticule boisé au sommet orné d’imposantes pierres dressées vers le ciel. L’enfant s’arrêta au pied de la colline et s’exclama sans même reprendre son souffle :
« C’est juste sous ce gros rocher plat, maître-mage. C’est de là que la lumière jaillit parfois, la nuit. Il y a des dessins gravés comme vous m’avez montré. Normalement, on n’a pas le droit de monter ici, c’est le tertre aux anciens. »
Il jeta un coup d’oeil prudent aux alentours en prononçant ces derniers mots. Celui qui l’accompagnait garda un moment le silence, les yeux clos, semblant s’imprégner de l’endroit. Puis, il s’anima, agité d’un léger frisson, et sortit quelques ducats d’une poche.
« Je ne suis pas maître-mage, Ueb, pas plus que tu n’es guerrier. Je ne suis qu’un voyageur qui s’intéresse au vieil âge, et je te remercie de satisfaire ma curiosité. »
Avec un sourire, il fourra les pièces dans la main du gamin. Celui-ci devait avoir quatorze ans tout au plus et était vêtu, comme les éleveurs du pays, de vêtements solides et d’une pelisse doublée en peau. Un arc d’os ceignait son dos et un carquois rudimentaire battait à sa cuisse. Il se renfrogna un instant. Son regard s’alluma alors qu’il examinait les pièces, et il siffla entre ses dents.
« Je le savais, vous êtes bien un mage avec vos objets “cabanistiques” comme il dit mon oncle, et en plus vous avez des pièces draconiques. Où qu’il est votre dragon ? Je le répéterai pas, mais j’voudrais tellement pouvoir l’admirer. Allez, s’il vous plaît, j’sais garder un secret.
— Fort bien, jeune homme. Tu es intelligent, alors je te propose un marché : tu vas veiller sur nos arrières pendant que je regarde de plus près ces inscriptions. Si quelqu’un vient, tu me préviendras avec ceci. »
Il lui tendit un petit sifflet ouvragé, orné d’une pierre bleuâtre.
« Tu souffles deux fois pour des gens du village et trois fois pour des inconnus. Tu m’as bien compris ? »
Ueb le saisit en opinant du chef, absorbé dans la contemplation de l’objet.
« Prends-en grand soin, il est lié à moi par magie… Bien. À présent, sache que je ne suis pas venu à dos de dragon ; ils sont fort rares et affairés à combattre les Ténèbres. Mais, si tu accomplis ta mission, je te révélerai quelques secrets à leur sujet. Nous sommes d’accord ? »

Ueb se redressa fièrement et tendit le bras, paume en avant, tout en récitant d’un air solennel une antique formule de fraternité des tribus de Kel :
« Mon sang pour le tien, frère de chasse. »
L’homme lui rendit son salut d’un air grave, puis se dirigea vers la colline, disparaissant bientôt dans l’abondante végétation. En fait d’homme, et bien qu’il cacha son visage derrière des mèches brunes entremêlées, un observateur attentif aurait vite déduit de la finesse de ses traits qu’il s’agissait d’un elfe. Pour l’heure, Mehöl se trouvait loin de chez lui et il connaissait trop bien les dangers de cette époque troublée pour avoir l’arrogance de clamer son appartenance au peuple cynwäll. Très tôt, son tempérament curieux et son fort caractère lui avaient valu d’être considéré comme un original au sein d’un peuple habitué au calme et à l’introspection. Il avait bien étudié les rudiments de la magie du solaris, mais avait passé plus de temps dans les jambes des artisans héliastes que dans la salle des gemmes. Il avait finalement trouvé sa voie : ironiquement surnommé « gratte-poussière » par certains, il préférait se définir comme un chercheur de merveilles, arpentant Aarklash depuis plusieurs années sur les traces des artisans de l’âge d’or. Pour l’heure, il se hâtait vers le rocher indiqué par l’enfant, excité à l’idée qu’il ferait peut-être, enfin, une découverte majeure.


La pierre, grise et parsemée de lichens, présentait une série de motifs usés par le temps qui convergeaient vers le sol. En s’approchant, Mehöl s’aperçut que la roche s’arquait en un surplomb. À sa base, une anfractuosité s’enfonçait vers le coeur de la colline. Le Cynwäll farfouilla dans son sac et en extirpa avec précaution un petit étui de cuir, dans lequel il choisit deux lentilles vert pâle parmi une série de cristaux taillés. Il les glissa dans les logements aménagés sur son masque, un ivoirin dénué d’ornements, puis fixa celui-ci sur son visage avant de se pencher pour scruter l’obscurité. Sa vision ainsi améliorée, l’elfe distingua nettement un pan de pierre en partie effondré. Sans plus attendre, Mehöl s’engagea en rampant dans l’étroit tunnel. Il s’arrêta quelques instants pour examiner la roche marquée de profondes rainures, comme si des outils l’avaient forcée. Pas des outils. Des griffes, à la réflexion. Réprimant un frisson à l’idée de ce qui pouvait avoir la force d’entamer la pierre à mains nues, Mehöl fouilla à nouveau dans son sac aux multiples poches. « Je vais avoir besoin de toi, mon petit », marmonnat-il en ouvrant un petit coffret métallique orné d’un unique symbole. À l’intérieur se trouvait un objet ovale de la taille d’un poing qui s’anima doucement lorsque Mehöl l’effleura en prononçant les paroles rituelles d’empathie. Le construct frémit à son contact et déplia six pattes délicatement ouvragées. S’agrippant à sa main, il grimpa le long de son bras, tel un étrange coléoptère. Il resta immobile quelques instants, émettant seulement de légers cliquetis. Puis, son dos se scinda en deux élytres dorés, libérant deux paires d’ailes à la structure cristalline. L’intérieur ainsi révélé renfermait une gemme sertie au coeur d’une mécanique complexe. Le cristal se mit à luire d’un éclat bleuté qui nimba la petite forme insectoïde. Un dernier rouage se mit en place et de petites ouvertures pratiquées dans la carapace métallique découvrirent trois émeraudes qui luisaient tels des yeux minuscules. Le gracieux engin s’éleva enfin dans les airs avec un léger bourdonnement. « J’ai une mission de reconnaissance pour toi, asnodule. » Mehöl fouilla dans le coffret et en sortit une lentille dorée ornée d’une émeraude qu’il ajusta sur son masque. Le construct darda un rai de lumière caressant vers l’elfe, puis se dirigea vers l’ouverture et s’enfonça dans la pénombre. Mehöl se concentrait à présent pour analyser les images et informations que lui transmettait l’asnodule, tout en restant attentif à ses propres sensations. Un couloir froid. Pas de mouvement. Des parois lisses. Pas d’odeur. Un sol pavé, régulier. Pas de bruit. Une image envoyée par le construct fit sursauter Mehöl, car elle était accompagnée d’un halo rouge indicateur de danger. Une forme étendue sur le sol. L’elfe observa, retenant son souffle, tandis que l’analyse se poursuivait. Os et métal, brûlures, cendres. Pas de signes vitaux. L’asnodule se focalisa sur un point perdu dans la masse osseuse, la source du sentiment de danger qu’il avait émis : une gemme de Ténèbres, au bord de l’extinction. Reprenant sa progression, le construct parvint à une porte close gravée de symboles complexes. Mehöl rajusta son masque et se faufila à son tour dans le passage, serrant sa dague dans sa main. Il se pencha sur le cadavre et renifla de dégoût. Le corps, qui devait mesurer près de deux mètres cinquante, arborait des griffes monstrueuses et des plaques d’armure greffées à même les vertèbres. Une abomination des Ténèbres, sans nul doute. Je dois être prudent, car la magie qui a détruit cette chose pourrait bien avoir raison de moi. L’elfe scruta la porte, reconnaissant le métal décoré de symboles familiers pour la plupart. Que la Lumière me guide. Il s’agit bien d’un lieu sacré et ces symboles sont ceux qu’utilisaient les Sphinx. Le Cynwäll envoya un bref ordre mental à son construct : Trouve-moi l’énergie qui alimente cette pièce. En attendant, Mehöl se plongea dans l’étude des symboles qui lui permettraient de pénétrer plus avant. Au bout de quelques instants, alors qu’il pensait avoir trouvé le moyen d’entrer, l’asnodule lui adressa une impulsion, légère lueur sur sa rétine : il était prêt. Une image de filaments argentés courant le long du couloir et couvrant la porte, telle une toile d’araignée, s’imposa. Des canaux de dérivation. Les liens, constitués de précieux iridium, acheminaient le mana jusqu’à des récepteurs. Mais aucune énergie résiduelle n’était détectable. En examinant l’un des cônes de cuivre à demi fondu, Mehöl comprit ce qui s’était passé. La créature des Ténèbres avait tenté de forcer la seconde porte, déclenchant les défenses du lieu. Mais la charge nécessaire pour foudroyer l’intrus avait épuisé l’énergie de la gemme qui alimentait cette partie du sanctuaire. « Donne-moi une image détaillée du réseau d’iridium. » Le construct s’immobilisa à quelques centimètres de la porte, balayant lentement chaque parcelle de l’ouvrage métallique. Mehöl régula sa respiration, faisant le vide en lui. Il finit par localiser la source qui irriguait les canaux d’ouverture et dirigea l’asnodule vers cette portion. La tâche la plus ardue allait débuter… Fermant les yeux, il imposa sa volonté au construct, prenant le contrôle de ses organes moteurs. L’asnodule, ses engrenages gémissant sous l’effort, se positionna à la verticale du sol, puis ajusta sa polarité jusqu’à adhérer à la paroi métallique. Le front crispé par la concentration, Mehöl dirigea délicatement chacune des pattes pour les mettre en contact avec les filaments d’iridium qui couvraient la porte. Enfin, l’abdomen du construct se contracta, révélant un dard cristallin qui se raccorda au canal lié à la matrice énergétique. Mehöl rouvrit alors les yeux et plaça ses doigts sur les symboles d’ouverture, récitant la litanie de l’artisan. Le comble serait que je périsse en fournissant moimême l’énergie de ma destruction ! Écartant cette idée, il transmit un ordre à l’asnodule. Le bourdonnement s’amplifia alors que le construct transmettait à la porte l’énergie emmagasinée dans sa gemme. Pendant une longue minute, rien ne bougea et Mehöl retira ses mains des symboles en soupirant. La paroi glissa finalement dans un grondement sourd, révélant une salle faiblement éclairée, fermée par une porte à l’autre extrémité. Détachant prestement son construct avant qu’il ne soit endommagé, Mehöl relâcha son emprise mentale et propulsa l’insecte métallique dans les airs avant de pénétrer dans la pièce.

Les murs étaient nus, constitués du même métal inaltérable que la porte. La pièce, carrée, mesurait environ vingt pas de côté ; en son centre se trouvait un puits circulaire à la margelle de bronze ornée d’inscriptions. Mehöl s’approcha pour déchiffrer les symboles, mais se figea lorsqu’un bruit sourd retentit. La porte s’était refermée. Du puits jaillit un globe métallique qui roula jusqu’à lui. Mehöl saisit sa dague et posa rapidement son sac, tandis que la sphère tremblait. Elle sembla se disloquer brusquement, se muant en une sorte de monstrueux mille pattes. Puis, la créature chargea, mandibules en avant. L’elfe évita une première attaque en reculant et interpella son construct. « Analyse les inscriptions sur le puits… » Il s’interrompit pour parer maladroitement un coup de mandibules qui cassa la pointe de sa dague. « Cet engin et son fonctionnement. Vite ! » L’assaillant marqua un temps d’arrêt, sa tête pivotant alternativement vers Mehöl et le construct qui volait vers le centre de la pièce. Ainsi, tu réagis au mouvement. Mehöl se précipita vers ses affaires. Aussitôt, un martèlement rapide lui apprit que la créature le talonnait. Se laissant tomber sur un genou, il saisit sa lampe à huile et la projeta de toutes ses forces vers la tête de la créature. S’arquant sur ses pattes, celle-ci la cisailla sans peine, libérant un liquide épais qui coula sur sa tête bombée. Voilà qui devrait te désorienter un moment. L’instant d’après, l’elfe secoua la tête d’un air désolé. La créature avait effectué un rapide demitour, dirigeant vers lui son autre extrémité, munie elle aussi d’une tête aux mandibules broyeuses. Des inscriptions se superposèrent à cette décourageante vision. Symboles déchiffrés. Le gardien est la clé. Le détruire, c’est mourir. Le guider, c’est sortir. Créature identifiée comme un construct de type Ychtion. Capacités inconnues. Mehöl laissa échapper un juron. Les Sphinx avaient toujours eu le sens de la formule, mais il se serait bien passé d’une énigme en ce moment critique. Il transmit ses instructions à l’asnodule. Visualise la porte et place-toi le plus haut possible. L’Ychtion semblait avancer plus lentement vers lui, à présent, les capteurs placés sur sa tête massive luisant tandis qu’il progressait dans un cliquetis sinistre. Le moment est venu de vérifier ma théorie. Mehöl s’efforça de se concentrer. Je dois faire corps avec cet endroit, devenir aussi froid que la pierre, aussi lisse que le sol. Je ne suis plus qu’une ombre silencieuse… À quelques centimètres de l’elfe, le construct gardien avait ramené sous lui ses anneaux métalliques, prêt à frapper. L’asnodule finit son examen et transmit une image de la porte. Une série de symboles disposés en cercle entouraient une empreinte en creux, complexe et assez profonde. Assez profonde pour… Lumière ! Mais oui : assez profonde pour que la tête de l’Ychtion puisse y entrer ! Mehöl adressa un ordre silencieux à l’asnodule. Active ta matrice de protection et libère des Eyniels. Canalise l’énergie de ta gemme vers le réseau cinétique pour manoeuvrer en vol vibré. En espérant qu’il soit plus lent que toi… Le bourdonnement de l’asnodule gagna en intensité tandis qu’il accélérait son allure, sa silhouette devenant indistincte. Il éjecta trois petites particules lumineuses qui se mirent à graviter autour de lui. L’Ychtion réagit immédiatement à cette débauche de mouvement, se détournant de Mehöl. Il s’immobilisa bientôt au centre de la pièce. Arqué au sol, il suivait alternativement de ses deux têtes les mouvements circulaires du petit construct. Mehöl se releva alors avec précaution, des gouttelettes de sueur s’écoulant de son masque. Récitant les préceptes de Noesis, il s’avança avec prudence. Il parvint enfin jusqu’à la porte qu’il examina un moment. Oui, c’est sûrement cela : la tête de cette chose doit pouvoir s’ajuster à l’intérieur… Une gerbe d’étincelles et un choc violent interrompirent sa réflexion. L’Ychtion venait de se détendre brusquement, passant à l’attaque. Il avait frôlé l’asnodule et s’était écrasé contre le mur tout proche. Le petit construct, ébranlé par la secousse, mena quelques instants un vol erratique avant de rétablir son assiette. Avec un soupir, Mehöl donna son instruction suivante. L’asnodule se plaça en bourdonnant devant la porte, à quelques centimètres de l’empreinte. L’Ychtion le suivait de près, s’apprêtant à frapper de nouveau. « Eltorm ! » tonna Mehöl au même instant. L’asnodule, brutalement privé d’énergie par cet ordre, tomba. Emporté par son élan, l’Ychtion encastra profondément sa tête dans la porte. Le reste de son corps commença à se lover, reformant une sphère ornée d’un unique symbole luisant dans la pénombre. Mehöl ramassa délicatement l’asnodule et l’examina. Une paire de pattes faussée et la plaque ventrale entaillée constituaient les seuls dégâts apparents. Mehöl réprima une grimace en réactivant la gemme : le fragile réseau cristallin des ailes était sévèrement endommagé. Je te confierai au maître de l’atelier, il pourra sûrement te réparer. Après avoir rangé le construct dans son coffret avec mille précautions, le Cynwäll se tourna vers la porte d’un air résolu et effleura la rune dont la luminosité avait gagné en intensité. S’abaissant en silence, l’ouverture révéla une large salle circulaire en contrebas. Une volée de marches menait à un autel en forme de croissant. Le plafond se perdait dans l’obscurité. Mehöl avait déjà franchi quelques marches lorsque la pièce s’illumina doucement, révélant une coupole ouvragée sur laquelle avait été reproduite une carte du ciel. Chaque astre ou planète y était placé et représenté avec minutie. Admirant quelques instants cet ouvrage merveilleux, l’elfe s’aperçut que l’ensemble était animé d’un mouvement quasi imperceptible, les répliques des corps célestes accomplissant leurs révolutions. Il lui sembla que ce ciel était bien plus vaste que celui qu’il contemplait la nuit. À présent, il distinguait mieux l’autel, vaste croissant de pierre sur lequel était disposé un unique objet : un coffret carré du métal argenté dont les Sphinx détenaient le secret. Progressant avec prudence, Mehöl ne décela aucun mouvement, mais nota la parfaite conservation du lieu. Parvenu au pied des marches, il se dirigea vers l’autel. Après avoir examiné le coffret sous toutes les coutures, il l’ouvrit lentement. Il en sortit avec précaution un rouage dentelé en bronze, serti en pendentif sur un simple cordon métallique. Le Cynwäll l’examinait encore lorsque tout bascula. Il y eut d’abord la lumière, d’une blancheur aveuglante, puis son corps qui sembla tout entier s’étirer vers le ciel et, enfin, une douleur sans nom qui lui fit perdre connaissance. Un moment après, Mehöl ouvrit les yeux. Il gisait au sol, recroquevillé. Il se releva et, portant machinalement sa main à sa nuque, arrêta son geste avec un cri de douleur. « Tu vas souffrir quelques jours. » Une voix venait de retentir, émergeant du néant. Tâtant l’arrière de son crâne, Mehöl y décela un implant bulbeux. « Qui êtes-vous ? Que m’avez-vous fait ? » L’elfe secoua la tête, tentant de chasser la brume qui encombrait son esprit, mais ne réussit qu’à accroître la douleur lancinante. « Inutile de crier pour te faire entendre, tes pensées suffiront. » Puis, après un silence, la voix reprit. « Je suis ton hôte, à présent, et nous sommes liés. » Mehöl réalisa brusquement que la voix, étrangement désincarnée, résonnait en fait à l’intérieur de sa tête. S’accroupissant, il se mit à sangloter, rompu de douleur et de fatigue, puis finit par sombrer dans le sommeil. Il resta là des heures, des jours peut-être, oscillant entre rêve et conscience. Un moment, il perçut un sifflement lointain qui éveilla en lui un vague sentiment d’urgence. Puis revinrent les rêves emplis d’incroyables images, de créatures terrifiantes et de guerres sans merci. Des visages familiers lui apparaissaient souvent, des lieux aussi, et des machines gigantesques traversant le ciel ou plongeant vers les océans. Un froid blanc recouvrait inexorablement vivants et morts d’un manteau silencieux.

Enfin, la voix résonna de nouveau, l’appelant par son nom, le pressant de se lever. Mehöl se raidit et ouvrit les yeux, retrouvant peu à peu ses esprits. Mehöl, debout, il est temps de te mettre en route ! Passant sa langue sur ses lèvres desséchées, l’elfe se releva et répondit d’une voix rauque : « De quel droit ordonnez-vous et pourquoi m’avoir ainsi fait souffrir ? » Il constata qu’il était toujours faible, mais que la douleur avait fait place à un léger picotement. L’objet était toujours là, enfoncé à la base de sa nuque. Je te l’ai déjà dit, tu peux me parler sans ouvrir la bouche. Je vais partager un moment ton corps, car je détiens des informations qui ne se transmettent pas par un simple message. Mehöl se raidit. « Ainsi, je suis un vulgaire réceptacle que vous avez parasité. Vous n’aviez pas le droit. Je ne serai pas votre chose, je… je vous détruirai ! » La voix enfla, rugissant à l’intérieur de son crâne. Tu crois peut-être que c’est de gaieté de coeur que j’ai abandonné mon enveloppe charnelle et laissé tous ceux que j’aimais ? Tu crois que j’ai accepté sans regrets d’être enfermé dans ce construct, coupé du monde pendant des années, des siècles sans doute, en compagnie de mes seuls souvenirs ? Cent fois j’ai cru devenir fou, rongé par la solitude. Si j’en avais eu les moyens, je me serais donné la mort avec bonheur, malgré l’importance de ma tâche ! Puis, reprenant sur un ton plus posé : Je regrette de ne pas t’avoir laissé le choix, mais tu es le premier à avoir pénétré ici depuis la fermeture du sanctuaire. Je ne pouvais courir le risque de rester dans l’oubli ou d’être récupéré par l’engeance des Ténèbres, et j’ai senti en toi la maîtrise, même faible, du solaris. Ton coeur est serein et ton esprit curieux. Je respecterai ta liberté, mais sache que je suis résolu à accomplir mon rôle, avec ou sans toi. Mehöl, stupéfait, sentit alors une force qui le forçait à se lever et à marcher. Ce n’est qu’au pied des marches qu’il recouvra sa liberté de mouvement. Je t’ai insufflé beaucoup de mes connaissances durant ton sommeil, mais il te faudra du temps pour les assimiler. Je ne serai pas qu’une contrainte pour toi, je saurai t’apporter mon aide. Voici d’ailleurs un gage de ma bonne volonté. Un bourdonnement annonça l’arrivée de l’asnodule qui s’immobilisa devant le Cynwäll. Ce dernier, bouche bée, examina le construct, mais ne décela aucune trace des dommages qu’il avait subis. Mehöl savait par expérience que les efforts conjugués d’un héliaste et d’un artisan n’auraient permis qu’une réparation sommaire du fragile construct, sans pour autant effacer les dégâts sur sa structure. Tendant la main, il le saisit et le rangea dans son étui. « Ainsi, vous êtes bien un des maîtres artisans du Sphinx, un de ceux qui éveillaient la matière ». Après un long silence, la voix reprit : Je suis effectivement un gardien de l’Utopie, choisi pour transmettre aux disciples de la Lumière certains des secrets de nos créations. On m’appelait Kulden, le maître des légendes. Je te le demande : veux-tu bien me mener jusqu’aux sages de ton peuple, afin que je les instruise ? Mehöl médita un moment, puis rassembla ses affaires et se dirigea vers la porte. Celle-ci se referma hermétiquement derrière lui sur les secrets du sanctuaire. Au-dehors, le soleil l’éblouit et il retira son masque, inspirant avec délices l’air chargé d’iode. Il descendit ensuite tranquillement la colline. Il approchait de l’endroit où il avait laissé le jeune Ueb, lorsqu’un gémissement attira son attention. L’elfe saisit aussitôt sa dague, notant qu’elle était réparée, et se glissa dans les fourrés en direction du bruit. Il atteignit rapidement une clairière, distinguant en son centre les restes d’un feu et une silhouette qui lui tournait le dos, enroulée dans une couverture.
« Ueb ? lança-t-il d’un ton indécis, empli d’un malaise instinctif.
— Tu m’avais abandonné, maître-mage, j’étais tout seul à la merci des monstres…
— Mais de quoi parles-tu, Ueb ? Il n’y a pas de monstres ».
Mehöl se pencha vers la forme qui roula sur le côté, révélant le corps rigide du petit chasseur qui serrait dans sa main un sifflet orné de pierreries. Son visage, animé d’une parodie de vie, tourna vers le Cynwäll des orbites vides.
« J’ai sifflé, je t’ai appelé, mais tu m’as abandonné et ils m’ont trouvé. »
Un souffle fétide parvint jusqu’à l’elfe, tandis que les paroles sortaient de la bouche immobile, figée dans un rictus de terreur. Horrifié, Mehöl bondit en arrière avec un haut-le-coeur. Une autre voix s’éleva alors dans son dos :
« Je crains fort que vous ne soyez arrivé trop tard. Mais il tenait tant à vous dire encore quelques mots que j’ai cédé à sa demande. Il est vrai que mes protégés ont trouvé ce gamin fort distrayant. Il faut les comprendre, ils ont attendu si longtemps sans pouvoir agir. Quand je pense moi-même à tout ce temps passé à attiser les rumeurs pour voir enfin quelqu’un réussir à pénétrer dans ce lieu qui m’était interdit. Je crois que j’aurais également pris grand plaisir à me… détendre. »
Mehöl se retourna et vit une créature grotesque, des griffes d’acier greffées à ses poignets, qui s’avançait vers lui. Oubliant toute prudence, il se rua vers l’hybride et lui planta sa dague dans l’aine, puis dans le cou. Les traits déformés par la surprise, le clone oscilla un instant et s’effondra sans un cri. Le Cynwäll se redressait déjà, cherchant du regard un nouvel adversaire.
« Vous aurais-je contrarié ? reprit la voix d’un ton suave, à l’attention de l’elfe courroucé. Que devraisje dire, moi qui ai perdu la chair de ma chair ? Vous l’avez sûrement vu, mon Centurus, son corps puissant réduit en cendres… Il avait ouvert la voie et je pensais que nous touchions au but, lorsque cette satanée magie s’est déclenchée et a bien failli tous nous détruire. »
Un homme émergea des taillis sur la gauche de Mehöl, tenant nonchalamment une épée ornée d’un dard syhar. Drapé dans une robe aux motifs complexes, il arborait un masque lisse.
« Mais il est temps pour toi de nous donner ce que tu as trouvé à l’intérieur de cette construction. »
Le Scorpion fit un geste bref et deux autres formes avancèrent de quelques pas, s’interposant entre Méhöl et leur chef. Ces deux guerriers, équipés d’armures légères, étaient armés de cimeterres et d’un bouclier rond en métal. Leur corps musclé était parcouru d’un étrange réseau de câbles relié à un masque effrayant. Ils s’avancèrent dans un parfait ensemble, se plaçant de manière à frapper simultanément leur adversaire. Mehöl simula une attaque, puis se déporta sur la gauche pour les obliger à l’affronter l’un après l’autre. Son manque d’allonge et son état de fatigue auraient vite raison de lui, il lui fallait prendre l’avantage sans tarder. Il avait reconnu en leur meneur un adversaire redoutable : un neuromancien. Le Cynwäll ferma son esprit, se concentrant sur sa respiration et les battements de son coeur. Et toi, ne peux-tu m’aider en cet instant ? adressa-til amèrement à son « parasite », pour l’instant silencieux. Un sifflement, suivi d’une piqûre dans son dos, interrompit abruptement ses pensées. Il tomba à genoux, tétanisé. Un troisième clone surgit de la végétation, derrière l’elfe, rechargeant l’arbalète des sables fixée à son avant-bras. Le neuromancien s’avança lentement et ouvrit de force la main droite de Mehöl, crispée sur le pendentif orné du rouage. Il s’en saisit pendant qu’un clone délestait le Cynwäll de son arme et de son sac. Puis, le Syhar recula et lança un ordre bref dans sa langue. Le guerrier le plus massif saisit l’elfe par les cheveux, s’apprêtant à le décapiter sans cérémonie. Mehöl, à bout de forces, luttait en pure perte pour se libérer. Le neuromancien arrêta brusquement le bras de son suivant. Il siffla entre ses dents et la lueur verdâtre de ses yeux gagna en intensité. Il tâta la nuque et l’implant de Mehöl.
« Au vu de la régénération des tissus, cet objet t’a été greffé dans le complexe. Voilà qui intéresserait fort mon créateur, surtout s’il s’agit d’une technologie nouvelle. Je crois, esclave, que tu as gagné un sursis… du moins jusqu’à ce que je puisse l’extraire sans risque. Sans risque pour l’objet, bien sûr. »
Que la Lumière me pardonne, la violence est le dernier recours. Mehöl sentit soudain un brusque afflux d’énergie prendre possession de son corps. Médusé, il assista en spectateur à la suite des événements. En quelques secondes, il se releva et martela de coups le clone qui le maintenait, puis s’empara de son cimeterre. Il se lança alors dans une danse meurtrière, tournoyant entre les deux autres guerriers qui s’effondrèrent bientôt, le corps couvert de profondes entailles. Enfin, Mehöl jeta l’arme syhare au sol et s’avança tranquillement vers le neuromancien. De sa bouche sortirent des paroles d’une langue inconnue, dont il comprit néanmoins le sens.
« Ainsi, ton peuple a perverti le don qui lui avait été fait, usant de la technologie pour avilir et parodier les vivants. Pour cela, tu vas mourir ».
Le neuromancien, pris au dépourvu par ce brusque retournement de situation, dégrafa sa cape et se mit en garde, sans prononcer un mot. Mehöl se vit ouvrir les bras et continuer à avancer, les mains auréolées d’une lumière dorée. Lorsque le Syhar se fendit, épée en avant, l’elfe pivota sur sa jambe droite, dérobant son buste à l’attaque. Il porta ensuite plusieurs coups à son adversaire. Chaque fois, une pièce d’armure se brisait ou tombait au sol, ses attaches rompues. Le neuromancien recula, sa peau blafarde exposée à l’air libre. Son masque sembla crépiter, puis il chargea le Cynwäll en hurlant. Mehöl tomba sur un genou au dernier moment et, passant sous la garde du Scorpion, frappa droit au coeur. Sa main tendue, telle une lame, traversa sans effort muscles et cage thoracique. En un instant, Mehöl était à nouveau debout, tenant entre ses doigts un coeur irradiant une sombre aura. Il brisa avec rage l’immonde amalgame de métal et de chair, tandis que le corps sans vie du neuromancien s’effondrait. Peu après, l’elfe retrouva l’usage de son corps, tremblant d’épuisement, tandis que la voix résonnait faiblement dans son esprit. Je m’étais juré de ne plus ôter la vie, mais il semblerait que le Destin en ait décidé autrement. À présent, mène-moi à celui qui guide votre peuple, en cette cité que j’ai vue dans ton esprit et que vous appelez Laroq. J’ai encore bien des choses à t’apprendre, mais il te faudra patienter. Épuisé par l’effort, l’esprit du Sphinx s’endormit, tandis que dans l’implant de Mehöl la gemme qui le nourrissait entamait sa renaissance.


Le lendemain, alors que les premiers rayons de Lahn chassaient l’obscurité, Mehöl se mit en route. Il avait brûlé les cadavres des créatures et la colline comptait un nouveau tertre, en mémoire de son jeune guide. L’elfe espérait arriver le lendemain en vue de Cadwallon. Là-bas, il pourrait trouver un navire prêt à le mener au plus près de Laroq, en empruntant le golfe de Syrlinh. Il devait à tout prix transmettre son message au Guide… des images de créations au pouvoir immense, mais aussi un avertissement impérieux ancré dans sa mémoire. En son for intérieur résonnaient encore les derniers mots de Kulden, dont il portait l’esprit silencieux, à propos de cette forteresse souterraine située au nord de la chaîne du Béhémoth. Une forteresse qui renfermait un savoir antique et dont Mehöl détenait la première clé. Le Cynwäll ajusta son manteau de voyage, effleurant l’engrenage de bronze pendu à son cou, et pressa le pas.

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Installé dans la pièce d’études de celui qui avait éveillé son intérêt pour les vestiges du passé, Mehöl se redressa en prenant une longue inspiration. Il s’ébroua et posa son masque devant lui. Larshaen l’observait de ses yeux noirs pétillants de malice, mais pour l’heure, son visage était soucieux. Assis en tailleur à même le sol, maître et disciple se faisaient face dans le calme d’une alcôve baignée par la douce lueur d’un cocon de sapharantes. Larshaen se releva souplement et partit s’affairer dans un coin de la pièce. Un bruit d’eau mise à chauffer s’éleva bientôt. Promenant son regard sur l’improbable collection d’objets assemblés dans la salle, Mehöl savoura en silence la quiétude de l’endroit. Il aperçut çà et là des trouvailles, reconnaissant celles qu’il avait lui-même rapportées. Des étagères supportaient, pêle-mêle, statuettes, armes, crânes et autres objets insolites… Le tout donnait une impression de capharnaüm. Toutefois, pour un œil averti, chaque emplacement était soigneusement répertorié et disposé selon sa région d’origine. L’aspect hétéroclite provenait de la multitude de peuples qui avaient foulé les mêmes terres à travers les âges. À des chercheurs de Kallienne qui s’étonnaient du manque de rigueur d’un tel rangement, Larshaen avait répondu en souriant qu’en les triant, on privait les objets de leur histoire. Mehöl percevait lui-même les destins que racontaient ces trouvailles. Son œil y décelait les traces du métissage ou des alliances, ainsi que les influences croisées dont ces fragments du quotidien témoignaient. Absents du lieu, les écrits accumulés sur les origines des peuples étaient présentés dans une aile de la grande bibliothèque, afin que les érudits de toutes contrées puissent les consulter. Larshaen, qui œuvrait à cette tâche depuis une cinquantaine d’années, avait gagné la considération de ses pairs pour la somme d’ouvrages qu’il avait collectée et traduite. Ses pairs le laissaient donc s’adonner à sa quête d’objets, jugée futile par beaucoup mais tolérée au sein de l’Université comme un mode original de compréhension des peuples. La voix mélodieuse de son maître interrompit la réflexion de Mehöl.
— Es-tu prêt à reprendre l’ënalërosÿn ?

Il posa à même le sol deux tasses fumantes disposées sur un plateau. Le parfum épicé de l’infusion de fleurs d’étoile emplit rapidement l’alcôve. Mehöl but à lentes gorgées, prolongeant cet instant de répit. L’ënalërosÿn, le chemin de conscience, durait déjà depuis plusieurs heures. Mehöl était épuisé. Il caressa la surface lisse de son masque, relié par un câble à une sphère de cristal. Le masque ouvragé de Larshaen reposait face au sien, relié de la même manière. Au milieu reposait la masse cristalline de la mnémolabre, étrange carapace révélant des dizaines de replis sinueux lovés autour des points d’ancrage. Larshaen avait rarement eu recours à l’ënalërosÿn, car le respect et la confiance avaient tissé entre maître et disciple des liens qui permettaient de se passer de cet artifice. Les révélations de Mehöl l’avaient cependant convaincu d’y recourir. L’examen approfondi des derniers évènements vécus par son disciple permettrait d’analyser en détail les circonstances de sa découverte. Mehöl adressa à son maître un léger mouvement d’assentiment avant de rajuster son masque.
— Nous en étions au port du Kraken, reprit Larshen.
Les images affluèrent, claires mais immatérielles, comme dans un rêve. Des images silencieuses, auxquelles Mehöl ajoutait parfois une description ou un commentaire. Il revit le quai vermoulu, le ciel gris de cette fin de journée et les premières lanternes qui s’allumaient aux fenêtres des tavernes du port. Suivirent les images fugaces d’un sordide agrégat de constructions précaires et d’épaves. Cet amas improbable, édifié sur les vestiges de l’ancienne cité cynwäll, composait le quartier flottant de Cadwallon.
— J’ai rendu visite à Dalrum. J’étais fourbu, mais il fallait que je rallie Wyde sans tarder, commenta Mehöl.
Plusieurs cotres aux voiles rapiécées amarrés à un ponton apparurent, l’un d’eux marqué d’une tête de sanglier grossièrement peinte. Deux matelots au teint hâlé y enroulaient des cordages. La vision des deux hommes se fit plus nette ; Mehöl était sur le bateau. L’un des deux marins, le plus petit à la calvitie naissante, grimaça à son attention et parla.
— Je leur ai demandé où était leur capitaine… ils ne voulaient pas le réveiller. Ils… La voix de Mehöl prit un ton rocailleux. On t’a dit que le capitaine veut pas d’visites, autant mettre la tête dans un trou de murène plutôt que de l’déranger.
L’autre marin, un natif de Kel au cou de taureau, s’avança pour repousser l’elfe…
— Reprenons le fil de l’histoire, as-tu vu le capitaine ?
Des images défilèrent rapidement, puis le capitaine surgit de la coursive du bateau, décochant un coup de pied au marin le plus proche. Il semblait mal réveillé, vociférant et frottant ses yeux porcins…
— Il était en colère après eux. Il a crié « bande de rats de cale à cervelles de seiches ! Pouvez pas fermer vos clapets, que je dorme ! Ou faut y que… »
— Merci pour cet exposé du langage fleuri des Cadwës du Kraken. S’est-il passé autre chose ?
Mehöl fit un effort de concentration.
— Nous avons négocié le prix de la traversée. Il a exigé un supplément pour l’urgence du départ… qui lui faisait perdre des affaires. Il m’en a coûté cinquante ducats. Les images du capitaine argumentant avec force gestes défilèrent. Larshaen se pencha vers Mehöl.
— L’or n’est rien. Ce que tu as ramené n’a pas de prix.
Larshaen se raidit. Il voyait une ombre qui en suivait une autre. La première de ces silhouettes sortit de l’obscurité.
— Il y a eu cette femme qui nous a dévisagés en passant… Elle suivait quelqu’un.
Un visage apparut, celui d’une femme au regard d’un bleu glacial, dérangeant. À cet instant, Larshaen posa une main sur le front de son aventureux disciple.
— Concentre-toi sur ce moment, sur l’instant où elle a surgi des ombres.
Mehöl déroula le fil de sa mémoire. Son esprit fouillait le passé.
— Dalrum se plaignait : « le quai est en basse chaîne à cette heure. Je risque des ennuis avec la capitainerie. Faut pas mécontenter ces gens-là. » Il s’est arrêté de parler. Je me suis retourné pour voir ce qu’il suivait ainsi du regard. Elle était là, une main crispée sur son épée. Derrière elle, il y avait une forme encapuchonnée qui, avant de s’enfoncer dans la nuit, nous a lancé un regard si… si froid. Cela m’a mis mal à l’aise. Excusez-moi pour ce manque de contrôle, maître.
— Ce n’est rien, répondit Larshaen d’une voix apaisante. Ne te tourmente pas. Tu as senti en elle l’empreinte de l’ombre qui la suivait. Vois. L’érudit prit un instant le contrôle du flot des souvenirs de Mehöl. Il remonta le cours tumultueux du temps et s’arrêta sur une image.
— Là !

La forme semblait glisser sur le quai et l’image se figea, révélant une langue serpentine dardée hors de la houppelande. Larshaen poursuivit.
— La Lumière te protège. Tu as croisé sans le savoir un ennemi bien plus dangereux que les Syhars dont tu me parlais tout à l’heure. Je me demande ce qui a pu pousser cette engeance dans la Cité des voleurs, murmura Larshaen, comme pour lui-même.
Les siens se cachent depuis si longtemps.
— Mais, revenons à ton voyage. As-tu fait d’autres rencontres ?
Mehöl reprit sa concentration. Des images fugitives du bateau et de la mer houleuse défilèrent devant ses yeux aux paupières closes.
— Non. Rien de notable. Par la suite, nous avons eu un vent favorable et j’ai pu accoster au sud du golfe de Syrlinh après trois jours de traversée. De là, j’ai suivi la route d’Aneirin
Wyde. L’image de la cité dominée par les tours fuselées de l’Université s’imposa aux deux Cynwälls. Les constructions de pierre blanche scintillaient dans la lumière de l’après-midi. Larshaen ôta son masque, rompant le contact avec le mnémolabre. Il semblait préoccupé. Mehöl se massa les tempes pour évacuer la tension. Il manquait de doigté dans cet exercice que d’autres Cynwälls pratiquaient quotidiennement. Son maître se releva, puis, se penchant vers lui, caressa les contours de l’implant qui ornait désormais sa nuque.
— Ainsi, tu abrites l’esprit d’un membre de l’Utopie, un gardien des légendes. Le silence s’installa, tandis qu’il regardait pensivement Mehöl. Veux-tu me montrer la clé qui t’a été confiée ?
Mehöl délaça sa tunique et dégagea le pendentif de bronze qu’il portait autour du cou. Larshaen le prit et se dirigea vers une table toute proche. S’emparant d’une loupe, il examina l’objet avec attention.
— Je n’ai rien vu de tel jusqu’ici.
Larshaen étudiait les encoches. Il distingua des marques à peine perceptibles. Aucune inscription. En tout cas, la facture confirme son origine. Larshaen soupira.
— Dans quoi t’ai-je entraîné, Mehöl ? J’ai fait preuve de légèreté en t’envoyant seul explorer cette contrée.
Mehöl se leva à son tour.
— Mais, maître, nous tenons là une formidable découverte, une confirmation éclatante de l’utilité de vos travaux sur l’origine du solaris et le savoir des Utopistes. Dans les visions de Kulden, j’ai vu des créations magnifiques, des constructs capables de se mouvoir dans les airs ou sous la mer !
— Certes, certes, répondit Larshaen d’une voix apaisante. Mais je mesure le poids de ce secret que tu portes dans ta chair.
Un secret ? Mehöl ne comprenait plus.
— Il faut révéler cette connaissance et la faire partager. Il faut en user pour repousser les Ténèbres. Nous avons entre nos mains la clé de certaines des créations des Sphinx.
Larshaen leva la main pour l’interrompre.
— Modère tes élans. Nous sommes certes en sous-sol et l’endroit est fort calme, mais je ne tiens pas à rameuter toute l’Université.
Se dirigeant vers la porte, Larshaen la referma, puis revint à son élève.
— Tu dois comprendre que la Vérité, telle la Lumière la plus éclatante, peut aveugler. Je sais que ces paroles pourraient être mal perçues, mais il m’importe que tu mesures l’ampleur de ce que tu détiens et du danger qui désormais t’accompagne. Depuis son exil, notre peuple est tourné vers la compréhension et l’harmonie par la Noësis, mais nous sommes à un tournant de notre histoire. Tu sais que, depuis Kaïber, notre Guide a décidé de réveiller d’antiques secrets. Nombre des nôtres pensent que nous ne devrions pas tirer ces savoirs mal maîtrisés de l’oubli. Ils sont partisans de l’Alliance de Lumière et refusent de s’en remettre à des « reliques », comme ils disent. Dans sa grande sagesse, l’allianwë ne veut négliger aucune possibilité dans la lutte contre les Ténèbres, mais sa vigilance est grande. Chaque découverte est soigneusement analysée et les tribëns s’y consacrent tout particulièrement. Parfois, lorsque la prudence le recommande, il leur est ordonné d’établir le secret le plus absolu et ce, même au prix d’une vie.
Larshaen garda le silence un instant. Il contempla son élève abasourdi avant de reprendre d’un ton plus léger.
— J’ai toute confiance en la clairvoyance du Guide. Il m’a laissé mener des travaux que beaucoup jugeaient inutiles et, aujourd’hui encore, grâce à toi, nous avons progressé dans notre connaissance des temps anciens. Quel dommage que ton hôte soit en torpeur ; j’aurais aimé m’entretenir avec lui sur bien des sujets.
Se levant, il saisit Mehöl par le bras avec douceur.
— Tu es épuisé et je suis un vieil idiot de te laisser ainsi, tandis que je rêve éveillé. Laisse-moi te mener à ta chambre, je me charge d’adresser un message à l’Omÿnsill pour solliciter une entrevue. D’ici là, repose-toi sans crainte dans ce lieu de paix. Efface tout de même cette empreinte des jours passés de ton masque, que nul ne puisse s’en emparer à ton insu.
Mehöl s’allongea habillé sur la couche sommaire. Il rumina les paroles de son maître en s’interrogeant sur ses mises en garde et ses sous-entendus. Son peuple avait fait de la transparence un principe fondateur. Le simple fait d’envisager de secrètes manœuvres au sein de la République, d’imaginer qu’on puisse violer l’intimité des souvenirs détenus par son masque, le troublait au plus haut point.


Des coups sourds frappés à sa porte le réveillèrent brutalement. Le tumulte des étudiants ne résonnait pas encore dans les couloirs. Mehöl se redressa et frotta machinalement ses vêtements, puis alla ouvrir la porte. Figé devant celle-ci, un elfe l’attendait, un masque à cimier pendant à sa ceinture. Son armure ouvragée de métal et de cuir sombre reflétait faiblement la lumière des torches. Il salua Mehöl, la main droite posée sur le cœur.
— J’ai volé une bonne partie de la nuit pour vous quérir. On m’a chargé de vous mener sans délai à un entretien avec un représentant de l’Omÿnsill. Nous devons partir sans tarder si vous voulez vous présenter à l’heure à cette audience. Mehöl le dévisagea quelques instants, interloqué.
— Voler ? Vous voulez dire que vous êtes venu à dos de dragon ?
Le messager répondit avec un soupçon de fierté dans la voix.
— Avec un dragon, oui. À ce propos, couvrez-vous. L’air est glacé en altitude.
Mehöl rassembla ses affaires en quelques minutes et s’enveloppa dans sa lourde cape de voyage avant de suivre le chevalier-dragon. Traversant les quartiers d’étude de son maître, il espéra confusément le voir une dernière fois avant son départ. L’endroit était désert. Empruntant des escaliers secondaires, les deux elfes se dirigèrent vers les niveaux supérieurs de l’Université et poursuivirent leur ascension jusqu’aux terrasses d’observation enserrant la haute tour dédiée à l’astronomie. Un vent d’est soufflait, apportant des odeurs humides de la forêt. Yllia dominait un ciel sans nuages. En suivant son escorte, Mehöl distingua bientôt la forme majestueuse lovée sur une des terrasses. Il frémit d’excitation. Pour la première fois, il allait chevaucher un des puissants alliés des Cynwälls. À leur approche, l’impressionnante créature se redressa. Elle tendit son cou vers eux. Ses écailles produisirent de petites flammèches blanches en frottant le sol. Sa tête se tourna sur le côté, un œil immense s’ouvrit face au visage de Mehöl. L’elfe se figea, fasciné par les reflets violacés de l’iris dans lequel flottaient des particules de lumière. Une voix grave accompagnée d’un souffle chaud l’enveloppa.
Ëryar Maloth te salue, jeune elfe. Que la Lumière guide tes pas.
La tête reptilienne recula de quelques mètres, ses naseaux frémissant dans un bruissement d’air sec.
— Salutations également à l’envoyé des sages, reprit le dragon. Je le sens qui dort en toi. Il est étrange que son essence soit mêlée à la tienne, mais je perçois son empreinte.
Mehöl sentit sa nuque tiédir et une réponse silencieuse envahit son esprit : Kulden te salue, fils de Maloth. Le dragon l’observa encore quelques instants, puis se détourna et fléchit ses antérieurs pour permettre aux cavaliers de prendre place sur son dos. Mehöl, fermement accroché au bourrelet de cuir qui le séparait du chevalier dragon, regardait l’horizon défiler sous ses yeux. Son masque lui permettait de percevoir les nuances du paysage plongé dans l’obscurité. La morsure du froid se faisait sentir au travers de ses vêtements, mais le corps du dragon irradiait une chaleur réconfortante. Émerveillé, Mehöl fixa dans sa mémoire ce moment magique. L’aube pointait à l’horizon lorsqu’ils arrivèrent en vue de Laroq dont le sommet dénudé se dressait à une hauteur vertigineuse. Ëryar Maloth vira sur la gauche, amorçant sa descente vers les premiers contreforts montagneux où se dessinaient de petites constructions. Quelques instants plus tard, le dragon se posa, dans un tourbillon de poussière, sur une étroite corniche. Sitôt son passager déposé, le dragon repartit dans un puissant battement d’ailes. Mehöl se trouva face à une ouverture conduisant vers les profondeurs de la roche. À l’intérieur, un équanime l’accueillit dans une petite salle, avec un bol brûlant de nadech et quelques galettes de céréales. Il le mena ensuite en silence dans un dédale de galeries grossièrement creusées qui contrastait avec la recherche propre à l’architecture cynwäll. Çà et là, des pousses d’hysneh dispensaient une faible lumière. Le moine s’effaça à l’entrée d’une salle. La pièce était plongée dans l’obscurité. Son centre était transpercé par une colonne de lumière provenant d’une ouverture pratiquée dans la voûte qui laissait un courant d’air glacé s’y engouffrer. Une voix inconnue s’éleva dans les ombres.
— Approche, Mehöl. Prends place dans la lumière. Elle saura éclairer ton discours et faire jaillir la Vérité.
Quelque peu désorienté, Mehöl s’assit face à un elfe vêtu d’une simple toge. La blancheur immaculée de sa tenue proclamait son statut de noësien. Ses yeux s’accoutumant peu à peu, Mehöl devina tout autour de lui des équanimes au torse nu, assis sur leurs genoux et indifférents au froid glacial. Le noësien lui adressa un sourire, puis ouvrit les bras dans un geste de bienvenue.
— Je me nomme Ylnir.
Une voix grave se fit entendre derrière Mehöl.
— Larshaen a adressé à l’Omÿnsill un message urgent renfermant des informations troublantes. Notre Guide a jugé utile de vous entendre sans délai, mais bien des tâches retiennent son attention. Il a chargé Ylnir d’assister à cet entretien et de lui rapporter fidèlement vos propos. Après un silence, une autre voix, plus sèche, retentit sur la gauche.
— Pourquoi pensez-vous avoir été choisi pour transmettre le savoir du Sphinx. Croyez-vous être un nouvel envoyé pour notre peuple ?
— Je ne suis ni un sage ni un prophète. Le hasard m’a conduit sur les traces de ce sanctuaire et du secret qu’il renfermait. La Lumière seule sait si j’ai été guidé jusqu’à cet endroit.
— Quelle est votre place au sein de notre peuple ? Pourquoi parcourir les terres lointaines ?
Mehöl se souvenait des longues conversations de son maître, expliquant son œuvre. Il tenta d’en rapporter fidèlement l’esprit.

— Nous nous efforçons d’apporter de nouvelles connaissances sur les origines des peuples qui ont foulé Aarklash. Comprendre leurs racines permet bien souvent de mieux appréhender ce qui les anime aujourd’hui.
À peine achevait-il sa phrase qu’une autre voix s’éleva.
— Comprenez-vous, quêteur, le poids qui pèse à présent sur vos épaules ? Vous qui souhaitiez la connaissance, mesurez-vous l’entrave à la liberté qu’elle peut constituer ?
Mehöl tressaillit et se maîtrisa, inspirant lentement.
— Comme tout chercheur, j’ai toujours espéré faire une découverte majeure. Mais je sais que ce que j’ai rapporté de ce sanctuaire a changé mon destin en me liant à…
Hésitant, il chercha ses mots, ignorant ce qu’il pouvait révéler ici. Ylnir hocha la tête, l’invitant à poursuivre.
— Je sais que je suis lié à cet esprit qui dort en moi et à ses connaissances.
— Cette idée de n’être qu’un réceptacle renfermant un bien précieux ne vous révolte-t-elle pas ?
Mehöl sentit ses joues s’empourprer légèrement. Malgré le shenras, il n’avait jamais été très habile à contrôler ses émotions. Il répondit d’un air de défi.
— Oui, je le reconnais… J’ai été en colère ! Qui ne le serait pas à la pensée d’être ainsi « habité » par un autre esprit. Mais j’ai accepté ceci, non comme une épreuve, mais comme une chance pour notre peuple. Ce gardien est la clé pour éveiller nombre d’antiques créations.
Le noësien leva une main, signifiant que l’entretien était clos. Durant quelques minutes, seul le bruit du vent troubla le silence des lieux. Les équanimes, parfaitement immobiles, arboraient un visage serein, tandis que Mehöl attendait la décision de ses pairs. Ylnir prit enfin la parole.
— Nous avons écouté tes paroles et sondé ton cœur, Mehöl, disciple de Larshaen, quêteur des vestiges de Wyde. Tu as hérité d’un lourd secret, mais il y a en toi une ferme résolution. Avec l’aide de la Lumière, tu sauras user avec sagesse de ce qui t’a été confié. Prends cependant garde à conserver ton libre arbitre. L’esprit du Sphinx est fort. Une dernière chose : le gardien que tu portes fait de toi un écrin. Tu dois le protéger comme ton bien le plus précieux, car il éveillera la convoitise. Tu dois comprendre que nos décisions le concernant s’appliqueront sans que ton sort ne pèse dans la balance. Pour le bien de notre peuple et des Voies de la Lumière, nous envisagerons son utilité et peut-être sera-t-il jugé préférable de le laisser reposer secrètement en attendant le moment opportun… À présent, nous allons éveiller ce gardien et écouter son message.
Ylnir joignit ses mains et les équanimes vinrent le saluer un par un avant de quitter la pièce. Un héliaste entra à son tour. Son masque était orné d’excroissances métalliques qui se prolongeaient sur son buste. Il s’inclina devant le noësien, puis se tourna vers Mehöl.
— Je suis Anhareg, tisseur de lumière, de l’atelier de Laroq. Je vais éveiller l’esprit du Sphinx en nourrissant la gemme immortelle qui lui fournit son essence.
Posant la main sur l’implant de Mehöl, l’héliaste se concentra. Les gemmes sur son masque luirent de plus en plus. Sa main se crispa et il récita une incantation, se concentrant pour guider l’afflux de mana. Mehöl sentit un picotement s’amplifier, tandis que l’énergie traversait sa peau pour emplir la gemme de Lumière lovée dans les chairs de sa nuque. Enfin, l’héliaste se recula. Ses gemmes avaient, à l’exception de deux d’entre elles, perdu de leur éclat. Ôtant son masque, il chassa de son front quelques gouttes de sueur.
— Cette gemme renferme un grand pouvoir. Pour régénérer son essence, j’ai frôlé la rupture de mes immortelles.
Il fronça les sourcils, écoutant une voix que seul lui pouvait entendre, puis poursuivit à voix basse.
— Il est déjà conscient.
Une voix familière retentit dans l’esprit de Mehöl : Merci de m’avoir mené jusqu’aux tiens. Si tu le permets, je vais m’exprimer par ton biais. Cela me coûtera moins d’efforts et tu seras ma voix, pas un simple porteur. Mehöl acquiesça, se retenant d’ironiser sur l’égard qui lui était fait. Il était conscient de l’importance de ce moment. Il voulut prévenir l’assemblée qu’il allait leur rapporter les paroles de Kulden, mais il s’éclaircit la gorge et la voix du Sphinx emplit l’espace.
— Je suis Kulden, gardien des légendes de l’Utopie. J’ai été chargé par mon peuple de transmettre notre savoir à ceux qui portent la Lumière dans la Création. Je dois m’entretenir avec votre chef… le Guide.
— Notre Guide est plus qu’un chef, rectifia Ylnir. Il éclaire nos pas et notre conscience. Il est dans la Lumière et nous suivons ses enseignements. Il a décidé de se consacrer à la lutte contre les Ténèbres qui engloutissent Aarklash. C’est en son nom que je vous accueille et vous écoute.
Mehöl sentit sa nuque s’échauffer et comprit, confusément, que Kulden sondait l’esprit de son interlocuteur. Un sourire fugitif se dessina sur le visage impassible du noësien.
— Votre esprit est résolu et vous savez en garder les frontières. Je vais vous révéler le secret dont Mehöl est le porteur. En m’éveillant, j’ai senti l’air familier des monts Dragons. Cette roche autour de nous me le confirme. Vous occupez un de ces refuges. Sa chambre de révélation est-elle encore fonctionnelle ?
À ces dernières paroles, l’héliaste s’agita. Il regarda Ylnir qui lui adressa un signe d’assentiment.
— Oui. Trois sont encore en fonction sur les terres cynwälls. Nous gardons précieusement leur secret. Si nous vous avons mené jusqu’ici, c’est que nous espérions que l’objet décrit dans le message en était une clé.
Ylnir plongea ses yeux dans ceux de Mehöl pour s’adresser à l’esprit du jeune elfe.
— Tu es jeune et déjà éprouvé par ces bouleversements. Te dévoiler ce secret scellera ton destin. Il ne sera plus question pour toi d’être un simple quêteur. Si tu le souhaites, tu peux encore préserver ta liberté. Nous nous chargerons de guider l’esprit jusque là-bas.
Kulden répondit. La voix de Mehöl prit des intonations houleuses.
— J’ai fait subir à mon hôte une rude épreuve. Il a dû se battre pour me conduire jusqu’à vous. En ce temps où les Ténèbres s’étendent, l’aveuglement ou l’ignorance ne sont que les remparts fragiles des esprits timorés. Il a le droit de connaître ce pour quoi il risque sa vie… Je veux savoir où mènent mes pas, je ne veux plus être un simple réceptacle !
Ylnir le regarda un moment avec tendresse, puis se leva et l’invita à suivre l’héliaste.
— Fort bien, Mehöl. Tu vas découvrir une des créations du Sphinx animée par le solaris.
Poursuivant leur chemin, ils s’enfoncèrent de plus en plus profondément dans les entrailles de la montagne. Anhareg ouvrait la marche, sa toge auréolée de lumière repoussant l’obscurité. Il les guida, empruntant trois portes scellées par l’emprise lumineuse. Le couloir s’élargit enfin. Les elfes parvinrent à une salle dont les parois et le plafond étaient recouverts de panneaux de bronze. Un bassin rectangulaire occupait la moitié de la salle. Il contenait quelques centimètres d’une eau limpide. Anhareg ouvrit les bras. Le mur opposé à l’entrée attira l’attention de Mehöl. Il supportait un grand cadre de métal ouvragé qui contenait de multiples cristaux, engrenages, plaques de métaux divers et autres objets inconnus. L’ensemble était protégé par deux épaisses plaques de verre. La voix de Kulden retentit dans son esprit : La plaque de lecture. Elle attend la clé que tu portes et qui en révèlera les informations.
— Anhareg, mettez-la en place, poursuivit Kulden à voix haute.
Le tisseur de lumière s’exécuta. Manœuvrant un jeu de chaînes et de poulies logé dans la paroi, il déplaça la lourde plaque à la verticale du bassin, puis se tourna vers Mehöl.
— Si vous voulez bien me confier la clé…
Mehöl ôta le pendentif et le lui confia. Anhareg le plaça avec précaution dans un diaphragme de métal sombre. Un léger grincement retentit lorsque le mécanisme se resserra jusqu’à épouser les contours de la clé. L’héliaste prononça une incantation. Une clarté intense émana du bassin et se diffusa à travers le cadre lumineux. Une lueur chatoyante éclaira le plafond, comme jaillie d’un kaléidoscope. Une série de claquements retentit, tandis qu’à l’intérieur du cadre de complexes agencements se mettaient en place. Enfin, une série d’images se refléta, arrachant un hoquet de stupeur à l’héliaste. Sur la surface lisse du plafond s’étalait désormais en reflets colorés une portion de carte que Mehöl reconnut comme la partie septentrionale de la chaîne du Béhémoth. Sur les murs étaient projetées d’autres images. Chacun fit silencieusement le tour du bassin pour étudier les images. Un pan entier était occupé par le plan détaillé d’un vaste complexe. De nombreuses inscriptions y étaient apposées. S’approchant, Mehöl les suivit inconsciemment du doigt et s’aperçut qu’il les comprenait : elles expliquaient le mécanisme des portes principales et la mise en route des matrices énergétiques des forges. Ylnir le noësien et Anhareg l’héliaste se tenaient devant une autre paroi, comme pétrifiés. En les rejoignant, Mehöl comprit la cause de leur stupeur : un reflet saisissant de réalisme montrait une vaste grotte dans laquelle des formes humanoïdes étaient alignées en longues rangées. Des centaines, des milliers peut-être. Anhareg s’éclaircit la gorge, tendant la main vers l’incroyable vision.

— Des constructs… Ce lieu doit être un…
— Un grand atelier de l’Utopie !
Les mots de Kulden avaient jailli de la bouche de Mehöl, achevant la pensée du mage.
— Avant que notre peuple quitte ce Royaume pour poursuivre sa lutte contre l’engeance ophidienne, il a mené plusieurs travaux. Ce lieu renferme les secrets et les moyens de créer et assembler des constructs de tous types. Je ne l’ai pas connu car, lorsque mon esprit a été mis en stase, ce lieu n’était encore qu’un projet. Le but de ces édifices, construits en des lieux reculés, était de livrer un jour nos connaissances à nos successeurs. Ce jour est advenu.
— Je vais prévenir l’Omÿnsill dès que possible de cette révélation majeure. D’ici là, il vaudrait mieux que… Il chercha ses mots quelques instants. Que vous reposiez dans le calme et la méditation. Mehöl, tu as grand besoin de prendre le temps de retrouver ton équilibre par le shenras. Ce lieu s’y prête parfaitement. Vous serez avertis dès qu’une décision aura été prise.
— Ne tardez pas. Ce laboratoire renferme des secrets qui pourraient éveiller bien des convoitises. Je peux vous guider au cœur de l’atelier, mais ne perdez pas de temps ; la Lumière ne saurait tolérer la tiédeur quand s’élèvent les clameurs de la guerre ! ajouta Kulden avec fougue.
Ylnir répondit calmement.
— Soyez remercié pour vos conseils. Il nous appartient cependant de peser les conséquences de cette découverte. Je dois à présent vous quitter sans plus tarder.
Le noësien quitta la salle et l’héliaste désactiva les machines. Tout en conduisant Mehöl dans le dédale de couloirs, Anhareg l’interrogea avidement sur le contenu de l’atelier. Kulden resta cependant muet. Une fois seul dans une cellule du monastère, Mehöl contempla pensivement les reliefs de Laroq battus par le vent. Il était abasourdi, partagé entre l’excitation de la découverte d’un atelier empli d’antiques secrets et la conscience des dangers qu’il faudrait affronter pour y parvenir. Se rendre à flanc de montagne, dans un complexe enfoui dans les glaces et situé entre les terres maudites d’Achéron et la forêt d’Ashinân serait un voyage périlleux. N’aie crainte. Je comprends ton inquiétude, mais je m’emploierai à nous maintenir en vie. Je comprends mal la réticence des tiens. Nous nous rendrons dans ce lieu et nous l’éveillerons, quoi qu’il en coûte. Ces « paroles », loin de rasséréner Mehöl, le plongèrent un peu plus dans l’embarras. Il était habité par un être si… intransigeant. Kulden ne semblait guère approuver la prudente réflexion des Cynwälls. Mehöl s’assit et posa ses mains au sol, ouvrant son esprit pour s’oublier dans la communion avec la solidité apaisante de la roche…

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